Les indices de risque sont basés sur un système de score, attribuant une certaine valeur à chaque facteur de risque indépendant. L'importance relative de chacun de ces facteurs est habituellement déterminée par régression logistique, technique statistique qui permet d'examiner l'effet de chaque facteur univarié en présence de toutes les autres variables. Il existe une vingtaine d’indices de risque différents en chirurgie cardiaque. Les deux indices les plus souvent utilisés sont l’EuroSCORE établi sur des patients d’Europe occidentale, et le score de la Society of Thoracic Surgeons (STS Score), établi sur des patients nord-américains. La prévalence d’une affection et son impact sur le devenir des malades varient considérablement d’une région du monde à une autre : l’incidence de coronaropathie est nulle chez les esquimaux, le taux d'obésité morbide est triple aux USA comparé à l'Europe, la réactivité aux β-bloqueurs est différente chez les populations noires ou blanches. Il faut donc rester réservé sur les possibilités de transposer les résultats d’une population à une autre.
La première version de l’EuroSCORE (European System for Cardiac Operative Risk Evaluation) est basée sur les données cliniques d’un collectif de 19’030 patients issus de 128 centres chirurgicaux de 8 pays européens [13]. Les 17 facteurs de risque retenus et les points de pondération qui leur sont attribués sont décrits dans le Tableau 3.1 A [9].
L’EuroSCORE permet une prédiction de la mortalité opératoire à 30 jours en additionnant les points obtenus. Lorsque aucun facteur de risque n’est présent, la mortalité de base est de 0.4% pour les PAC simples et de 1% pour le remplacement d’une valve. Il est actuellement le score le plus performant pour les populations européennes, bien qu’il présente une tendance à surestimer la mortalité dans les scores bas (< 6 points) et à la sous-estimer dans les scores élevés [8]. C’est la raison pour laquelle il en existe une version plus sophistiquée (Logistic EuroSCORE) dont la précision est meilleure, particulièrement dans les scores élevés, mais dont le calcul se fait au moyen d’une formule complexe nécessitant une calculatrice ou le recours au site internet (https://www.euroscore.org) [12].
Pour élargir la base de référence et améliorer la prédiction de mortalité, ce score a été récemment révisé (EuroSCORE II) au sein d'une population plus large (23'451 patients de 43 pays), ce qui a amélioré sa valeur prédictive puisque le coefficient de corrélation pour la mortalité à 30 jours est de 0.81 [11]. Une série de facteurs de risque ont été pris en compte (www.euroscore.org/calc.html).
- Risque NYHA (degré de dyspnée) II, III et IV;
- Angor, stade IV uniquement;
- Diabète insulino-requérant;
- Age, à partir de 60 ans;
- Genre féminin;
- Artériopathie extracardiaque (claudication, sténose carotidienne, intervention sur l'aorte abdominale ou des artères périphériques);
- BPCO;
- Mobilité réduite;
- Antécédents de chirurgie cardiaque (impliquant une ouverture du péricarde), reprise;
- Insuffisance rénale, basée sur la clairance de la créatinine (3 degrés par ordre de gravité : 51-85 mL/min, en dialyse, < 50 mL/min);
- Endocardite active (antibiothérapie en cours);
- Etat préopératoire critique (massage cardiaque, TV, inotrope en cours, contrepulsion, anurie);
- Dysfonction ventriculaire gauche (3 degrés : FE 0.3-0.5, 0.2-0.3, < 0.2);
- Infarctus récent (< 90 jours);
- Hypertension pulmonaire (2 catégories : PAPsyst 31-55 mmHg, > 55 mmHg);
- Opération en urgence (3 catégories : dans le même séjour hospitalier, immédiate dans les 24 heures, sauvetage lors de réanimation);
- Gravité de l'intervention (4 catégories : PAC isolés, procédure simple autre que PAC, opération double, opération triple ou davantage);
- Chirurgie de l'aorte thoracique.
Ces facteurs sont mentionnés avec leur valeur de pondération dans le Tableau 3.1 B [11].
Dans la pratique, l'EuroSCORE II présente un coefficient de corrélation avec la mortalité réelle de 0.82; cette performance est globalement équivalente à celle des autres versions. Il est optimalement calibré pour le calcul de mortalité jusqu'à 30%, mais surévalue le résultat dans le troisième tertile de risque [4]. Certains facteurs comme la mobilité, le BPCO, l'infarctus récent, la procédure simple non-PAC et la PAP entre 35 et 55 mmHg peuvent être abandonnés sans en changer la précision, car ils ont peu d'impact dans le calcul [4].
Le STS Score s’adresse à des populations nord-américaines. Il est basé sur l’analyse d’une banque de données concernant plus de 2 millions de patients. Il comprend une quarantaine de facteurs, dont une version abrégée retient 28 critères associés à des points de pondération permettant de calculer la mortalité. Les facteurs de pondération et la méthode de calcul étant la propriété commerciale de la STS, l’évaluation de la mortalité doit se faire en ligne sur le site de la société (https://209.220.160/STSWebRiskCalc261/) (www.sts.org). Pour les PAC isolés, il est aussi possible de calculer certaines morbidités (Tableau 3.2).
La comparaison de ces deux scores sur des populations nord-américaines démontre des performances superposables, malgré les différences démographiques, bien que le score STS tendent à sous-estimer la mortalité des cas à haut risque [10].
Parmi les autres indices de risque, on peut citer le score de Parsonnet et sa version révisée de Bernstein-Parsonnet, le modèle de la Cleveland Clinic, qui tend à sous-estimer la mortalité, et le Northern New England Score, d’où est dérivé le score de l’ACC/AHA (www.nnecdsg.org). Un index anesthésiologique (CARE : Cardiac Anesthesia Risk Evaluation Score) basé sur le jugement clinique utilise la combinaison de trois facteurs de risque : les comorbidités, classées en contrôlées ou non-contrôlées, la complexité de l’intervention chirurgicale, et la notion d’urgence (U) [7].
- 1. Patient avec maladie cardiaque stable, sans comorbidité, prévu pour une intervention simple.
- 1 – mortalité : 0.5%
- 2. Patient avec maladie cardiaque stable, avec une ou plusieurs comorbidités contrôlées, prévu pour une intervention simple.
- 2 – mortalité : 1.1%
- 3. Patient avec un problème médical non contrôlé, ou prévu pour une intervention complexe.
- 3 – mortalité : 2.2%
- 3U – mortalité : 4.5%
- 4. Patient avec un problème médical non contrôlé et prévu pour une intervention complexe.
- 4 – mortalité : 8.8%
- 4U – mortalité : 17%
- 5. Patient avec une maladie cardiaque avancée ou chronique chez qui la chirurgie représente un dernier espoir de sauver ou améliorer la vie.
- 5 – mortalité : 29%
- 5U – mortalité : 46%
Ces index sont très utiles pour ajuster le risque lorsqu’on évalue les résultats de séries cliniques ou que l’on compare des populations ; ils permettent de définir un niveau de risque au-delà duquel l’intervention chirurgicale est discutable, ou les seuils de mortalité au-delà desquels il est préférable de recourir à des interventions percutanées moins invasives. Mais ils n’ont probablement que peu d’impact sur la prise en charge clinique, car ils ne disent rien sur le pronostic d'un patient individuel: toute prédiction de mortalité ne s'adresse qu'à une population. D’autre part, les résultats opératoires sont influencés par des facteurs locaux comme la qualité chirurgicale, la prise en charge clinique et les performances de l’institution, facteurs qui ne peuvent pas être quantifiés dans les indices de risque. Le rapport entre la mortalité observée dans une série et la mortalité prédite par le modèle (Mo/Mp) permet de se faire une idée de la performance d'une institution ou d'un chirurgien; celle-ci est meilleure que la moyenne si ce rapport est < 1 [11]. Dans un souci de contrôle de qualité, il est important de faire figurer l’un de ces scores dans l’examen d’entrée des patients de chirurgie cardiaque.
La fragilité (frailty) d'un patient est une notion difficile à quantifier car elle relève davantage du jugement clinique. Elle est constituée de différents éléments: faiblesse, fatigabilité, chutes répétitives, inactivité, perte pondérale, malnutrition, dépendance, lenteur de la marche (> 6 sec pour 5 m), dépression, altérations cognitives, épisodes de délire, dont on peut constituer un index. Il est alors un prédicteur indépendant du risque opératoire, augmentant de 2 à 4 fois la mortalité [3]. Le hazard ratio (HR) est de 4.9 pour les complications cardiovasculaires; pour la mortalité, il est de 2.6 – 3.7 dans les opérations en CEC et de 3.2 dans les TAVI (pose de valve aortique par cathétérisme) [1,14]. L'association avec les maladies cardiovasculaires est élevée (OR 4.1) [1]. La fragilité est une vulnérabilité extrême liée à l'effet cumulatif du déclin de nombreux systèmes avec l'âge. Sa prévalence est de 16% entre 80 et 84 ans, et de 26% au-delà de 85 ans [6]. Cette perte de la résilience entame tellement les réserves physiologiques que des stresseurs minimes peuvent déclencher des altérations disproportionnées de l'état clinique. Le diagnostic de fragilité est très important parce que ces patients sont gravement péjorés par le stress majeur d'une intervention cardiaque, quand bien même leur âge chronologique n'est pas en soi une contre-indication [5].
L’indication opératoire à un remplacement valvulaire est facile à poser lorsque les malades sont symptomatiques ou qu’ils répondent aux critères de valvulopathie sévère (voir Chapitre 11 Apparition des symptômes), mais il est plus difficile de décider d’une opération chez un patient asymptomatique ou paucisymptomatique. Dans ces conditions, le suivi échocardiographique permet de repérer le moment où les dimensions du ventricule ou de l’oreillette se modifient significativement (diamètre télésystolique VG > 2.5 cm/m2, diamètre télédiastolique VG > 4 cm/m2, diamètre de l’OG > 5.5 cm). Une diminution de performance systolique ou l’apparition d’arythmies (fibrillation auriculaire) déterminent aussi le moment d’intervenir [2].
Indices de risque |
Plusieurs indices de risque permettent de calculer la mortalité probable d'une intervention de chirurgie cardiaque en fonction des comorbidités des malades et des risques propres à l'intervention: EuroSCORE I et II, STS-score, etc. Leur corrélation avec la mortalité réelle est bonne (r = 0.8). |
© CHASSOT PG, DELABAYS A, SPAHN D, Mars 2010, dernière mise à jour, Août 2019
Références
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- ROQUES F, NASHEF SAM, MICHEL P, et al. Risk factors and outcome in European cardiac surgery: analysis of the EuroSCORE multinational database of 19030 patients. Eur J Cardiothorac Surg 1999; 15 :816-23
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