16.1.3 Constriction péricardique

Qu’elle soit due à une péricardite ou à un épanchement, la constriction péricardique se caractérise par trois phénomènes fondamentaux [6,11] :
 
  • Restriction diastolique au remplissage ;
  • Couplage des cavités cardiaques entre elles ;
  • Isolation des cavités cardiaques par rapport aux variations de la pression intrathoracique.
 
Restriction au remplissage
 
La courbe de Frank-Starling conserve une pente normale, car la fonction systolique est maintenue, mais elle s’arrête brusquement lorsque le volume maximal est atteint (Figure 16.2). 


Figure 16.2: Courbe de Frank-Starling. Comparée à la courbe normale (bleue), celle d’une constriction péricardique (rouge) est abaissée et comprimée, avec une pente normale ; elle ressemble à celle d’une hypovolémie, mais s’arrête brusquement lorsque le volume maximal est atteint, ce qui correspond aux 40-50% du volume télédiastolique (Vtd) normal. Les variations de remplissage diastolique ont un effet marqué sur le volume systolique et le débit cardiaque jusqu’à ce point maximal (genou de la courbe), mais n’en n’ont plus au-delà. Si l’on remplace l’échelle de volume par une échelle de pression (Ptd), la courbe prend une forme aplatie (en pointillé), illustrant le fait que l’augmentation du remplissage conduit à une augmentation de la pression télédiastolique mais ne se traduit plus par une augmentation de la performance systolique. Cette courbe délimite une zone A (en pointillé) dans laquelle les variations de précharge se traduisent par d’importantes variations du volume systolique et de la pression artérielle (hypovolémie), et une zone B dans laquelle les variations de la pression artérielle sont absentes lors des variations ventilatoires de la précharge. 
 
Le genou de la courbe a lieu à un volume télédiastolique (Vtd) beaucoup plus faible que normalement [4]. Les variations de précharge ont un effet marqué sur le volume systolique et le débit cardiaque jusqu’à ce point maximal, mais n’en n’ont plus au-delà, même si la pression télédiastolique continue à s’élever. Comme le genou de la courbe est atteint à un bas volume, le remplissage n’améliore pas le débit cardiaque en-dehors de l’hypovolémie sévère. Les variations respiratoires du volume systolique et de la pression artérielle en ventilation en pression positive sont donc peu marquées ou absentes, sauf si le patient est hypovolémique.
 
Dans la péricardite constrictive, les oreillettes ne peuvent pas s'expandre à cause de la gangue rigide qui les entoure. Le seul moment où elles peuvent se remplir est pendant la diastole des ventricules, lorsqu’elles se vident dans ces derniers. Les courbes de pressions auriculaires présentent un profil particulier : la descente systolique "x" est minime, alors que la descente diastolique "y" est prédominante (Figure 16.3). 
 

Figure 16.3 : Courbes de pression en cas de péricardite constrictive. Dans l’oreillette, la descente de pression x est faible ou inexistante, alors que la descente y est prédominante (aspect xY). Dans les veines pulmonaires, le flux diastolique D prédomine (aspect sD). Dans le ventricule, la courbe de pression présente un aspect dip-and-plateau pendant la diastole : après une relaxation protodiastolique normale (dip), la paroi ventriculaire bute contre le péricarde et le remplissage cesse, la pression ne se modifiant plus (plateau). Le pointillé bleu indique les courbes normales [5].
 
Dans les veines caves et pulmonaires, le flux diastolique "D" est beaucoup plus important que le flux systolique "S" qui est mineur : S << D [8,12]. Ce profil particulier ("xY" et "sD") s’explique par le fait que la pression auriculaire ne peut baisser que pendant la diastole lorsque l’oreillette se vide dans le ventricule. Dans le ventricule, la pression descend brusquement en début de diastole (phase de relaxation normale), mais se stabilise rapidement jusqu’en télédiastole parce que la paroi bute contre le péricarde qui en restreint l’expansion (pas de distensibilité possible) : c’est l’aspect dip-and-plateau [10]. 
 
Couplage des cavités cardiaques
 
Les liquides sont incompressibles mais transmettent intégralement les pressions. En comprimant de l’extérieur les quatre chambres cardiaques, l’épanchement péricardique réalise un couplage des cavités et abolit les inhomogénéités en les remplaçant par une pression uniforme. Les oreillettes et les ventricules ne peuvent se remplir qu’en alternance, puisque le volume à disposition au sein du péricarde est restreint et invariable.
 
Dans la tamponnade, le remplissage auriculaire n’a lieu que pendant la systole, car seule la contraction des ventricules diminue le volume cardiaque et ménage suffisamment de place dans le sac péricardique plein de liquide sous tension pour permettre l'expansion des oreillettes (Figure 16.4A). 
 

Figure 16.4A : Couplage auriculo-ventriculaire en cas de tamponnade liquidienne. Le remplissage auriculaire ne peut se faire que pendant la systole des ventricules, car leur contraction diminue le volume occupé dans le péricarde; en diastole, le liquide est refoulé par le remplissage ventriculaire vers les oreillettes plus compressibles. EP: épanchement péricardique.
 
Le couplage auriculo-ventriculaire est un phénomène mis à profit pour faciliter le remplissage cardiaque chez certains animaux, comme les poissons elasmobranches (requins). Ceux-ci ont un péricarde cartilagineux rempli de liquide dans lequel baigne un cœur à deux chambres (1 oreillette et 1 ventricule). Pendant la systole, la contraction du ventricule fait diminuer la pression dans le péricarde, qui devient négative (- 1-3 mmHg). Ce phénomène favorise le remplissage de l’oreillette par un effet de succion du liquide qui se déplace vers le ventricule et la décomprime. Pendant la diastole, le ventricule se dilate et repousse le fluide autour de l’oreillette ; cette compression externe est une assistance à la vidange de l’oreillette dans le ventricule [1]. Mais les requins disposent encore d’un réglage astucieux de la quantité de liquide péricardique. Ils peuvent augmenter leur volume systolique jusqu’à 40% en drainant le liquide péricardique dans l’abdomen par un canal péricardo-péritonéal, qui est une relique de la communication entre le péricarde et le péritoine qui existe momentanément dans le développement embryonnaire de tous les vertébrés. Ce mécanisme agit comme un drainage : les requins règlent ainsi leur débit cardiaque par une "tamponnade contrôlée" (Figure 16.4B) [3].
 

Figure 16.4B. Schéma d'un cœur de requin entouré de son péricarde cartilagineux rempli de liquide péricardique (LP); le cœur des poissons n'a que deux chambres: une oreillette (Or) et un ventricule (V). 1: En systole, la réduction de volume du ventricule baisse la pression intrapéricardique et le liquide se déplace autour de ce dernier, décomprimant ainsi l'oreillette; cet effet de succion facilite le remplissage de l'oreillette à partir de la veine centrale (SV: sinus venosus). 2: En diastole, l'augmentation de volume du ventricule repousse le liquide autour de l'oreillette et la comprime, facilitant ainsi sa vidange dans le ventricule. Le canal péricardo-péritonéal (CPP) permet au requin de varier rapidement le volume de liquide péricardique et de régler ainsi son volume systolique. Les flèches rouges représentent les mouvements du sang; la double flèche bleue illustre le va-et-vient liquidien entre le péricarde et le péritoine. CA: conus arteriosus [1]. 
 
Comme le remplissage des oreillettes ne peut avoir lieu qu'en systole, la descente systolique "x" devient prédominante sur les courbes de PVC et de PAPO, alors que la descente diastolique "y" est effacée. Bien que cette courbe de pression auriculaire ressemble à un aspect dip-and-plateau, cette dénomination ne s’applique pas ici car elle correspond à un phénomène diastolique observé dans le VG lors de péricardite constrictive. A l’écho Doppler, la composante systolique "S" du flux cave ou veineux pulmonaire est seule présente, et la composante diastolique "D" est effacée (aspect "Sd") (Figure 16.5). [9,12]. 
 

Figure 16.5 : Remplissage auriculaire en cas de tamponnade. Par rapport à la situation normale (pointillé bleu), la courbe de pression auriculaire affiche une profonde descente "x", mais pas de descente "y" (aspect Xy) ; le flux diastolique dans les veines pulmonaires est effacé (aspect Sd). Les ventricules prenant toute la place en diastole, les oreillettes sont comprimées par liquide refoulé et ne peuvent se remplir que pendant la systole lorsque les ventricules prennent moins de volume par leur contraction.
 
L'accumulation liquidienne augmente la pression qui règne dans le péricarde, au point d'égaliser celle des cavités cardiaques (voir Echocardiographie, Collapsus pariétal). Lorsque la pression transmurale (Ptm = P intracardiaque – P péricardique) critique est atteinte (< 3 mmHg), et que les pressions de remplissage ne peuvent plus augmenter dans les veines caves et pulmonaires pour maintenir le flux, le couplage par l’épanchement réalise une égalisation des pressions diastoliques [2]:
  
                     P VCave  =  P OD  =  PtdVD  =  PAPO  =  P OG  =  PtdVG  =  P péric
 
L’alternance du remplissage ventriculaire droit et gauche en fonction du cycle respiratoire est normalement assurée par une libre augmentation de volume des cavités. Lorsque le volume est limité par la contrainte péricardique, toute augmentation du volume télédiastolique d'un ventricule se fait aux dépends du volume de l’autre par empiètement du septum dans la cavité dont la pression est la plus basse. Cette interdépendance ventriculaire est la plus marquée dans la péricardite constrictive, dont la coque fibreuse empêche tout agrandissement des ventricules vers l’extérieur (Figure 16.6) [10].


Figure 16.6 : Couplage interventriculaire en cas de restriction péricardique. L'absence d'espace compliant autour du coeur empêche l’expansion de ses cavités et conduit à une compression d'un ventricule par l'autre lorsque le volume télédiastolique est augmenté de manière asymétrique pendant la respiration. Cette interdépendance est transmise par un bascule du septum interventriculaire. En inspirium spontané, la baisse de pression intrathoracique (Pit) augmente le volume du VD et diminue la précharge du VG; le septum bascule alors dans le VG. C’est l’inverse en expirium [Extrait de Réf. 7].
 
On observe donc que le remplissage réciproque de l’oreillette et du ventricule au cours d’un cycle cardiaque et le flux de remplissage veineux à dominante systolique sont caractéristiques de la tamponnade, alors que la péricardite constrictive se manifeste par de faibles variations du volume et de la pression auriculaires, par un flux de remplissage veineux prédominant en diastole et par un bascule respiratoire du septum interventriculaire. Ces deux entités sont bien définies du point de vue physiopathologique, mais en clinique on rencontre beaucoup de situations intermédiaires, car il existe un continuum dans le passage de l’une à l’autre.
 
Isolation des cavités cardiaques
 
A cause de leur encapsulement par la péricardite constrictive ou par l’épanchement compressif, les cavités cardiaques sont isolées des variations respiratoires de la pression intrathoracique (ΔPit) auxquelles restent soumises la précharge et la postcharge des ventricules. Les ΔPit respiratoires induisent donc des gradients de pression inhabituels entre la cavité thoracique et les chambres cardiaques (Figure 16.7). 
 

Figure 16.7 : Péricardite constrictive ou tamponnade. Les cavités cardiaques échappent complètement aux variations de pression intrathoraciques (Pit, flèches blanches), qui continuent toutefois à agir sur les poumons, l'artère et les veines pulmonaires, l'aorte et la veine cave supérieure. Comme les pressions intracardiaques (Pic) ne sont pas influencées par les ΔPit, il se crée des gradients (ΔP) entre les poumons et le cœur (doubles flèches jaunes verticales). La veine cave inférieure échappe en grande partie à ces variations de pression car son trajet intrathoracique est court et presque entièrement intrapéricardique ; son débit dépend essentiellement des variations de pression abdominale générées par la contraction-relaxation du diaphragme. Les ventricules ne pouvant pas s’expandre vers l’extérieur, leur augmentation de volume alternée se fait par bascule du septum interventriculaire dans celui où la pression est la plus basse (double flèche jaune horizontale).
 
Chez l'individu normal, au contraire, les ΔPit sont uniformément transmises aux poumons, aux grandes veines centrales et aux cavités cardiaques, ce qui ne modifie pas significativement le gradient entre les poumons, les veines caves et les veines pulmonaires d'une part, et les oreillettes d'autre part. L’importance des gradients respiratoires créés entre la cavité thoracique et les chambres cardiaques varie selon le degré de compression opéré par la péricardite ou la tamponnade ; plus celui-ci est élevé, plus l’isolation est efficace et plus les gradients sont accentués (voir Interactions cardio-respiratoires).
 
La veine cave inférieure a un trajet intrathoracique très court et presque entièrement intrapéricardique. Bien qu’elle représente plus des deux tiers du retour veineux, elle échappe quasi complètement aux ΔPit lors de pathologie péricardique. Son flux est commandé en majeure partie par les variations de la pression abdominale sous l’effet de la contraction – relaxation diaphragmatique.
 
 
 
Les 3 effets de la constriction péricardique
1 - Restriction au remplissage
    - Insuffisance diastolique restrictive : Vtd abaissé
    - PVC élevée pour assurer une précharge
    - Péricardite : remplissage diastolique (xY et sD)
2 - Couplage des cavités cardiaques
    - Tamponnade liquidienne : égalisation des pressions diastoliques
    - Tamponnade : remplissage systolique (Xy et Sd)
    - Alternance du remplissage VD / VG avec le cycle respiratoire
3 - Isolation par rapport à la pression intrathoracique (Pit)
    - ΔPit respiratoires s’exercent sur les poumons et les vaisseaux, non sur les cavités cardiaques
    - ΔPit créent des ΔP entre les V caves et  les V pulm d’une part et les oreillettes de l’autre


© CHASSOT PG, Décembre 2007, Dernière mise à jour, Septembre 2017
 

Références
 
  1. BETTEX DA, PRÊTRE R, CHASSOT PG. Is our heart a well-designed pump ? The heart along animal evolution. Eur Heart J 2014; 35:2322-32
  2. GUAL-CAPLLONCH F, ESCUDERO A, BUYS S, et al. Equalization of intracardiac pressures in cardiac tamponade. Aneth Analg 2016; 122:959-62
  3. HEAD BP, GRAHAM JB, SHABETAI R, LAI NC. Regulation of cardiac function in the horn shark by changes in pericardial fluid volume mediated through the pericardioperitoneal canal. Fish Physiol Biochem 2001; 24:141-8
  4. HOIT BD. Pericardial disease and pericardial tamponade. Crit Care Med 2007; 35:S355-64
  5. LORELL BH. Pericardial diseases. In: BRAUNWALD E. Heart disease. A textbook of cardiovascular medicine. Philadelphia : W. B. Saunders Co, 1997, 1478-1534
  6. MORRIS-THURGOOD JA, FRENNEAUX MP. Diastolic ventricular interaction and ventricular filling. Heart Failure Rev 2000; 5:307-23
  7. OH J. The echo manual. 3rd edition. Philadelphia: Kluwer-Lippincott 2006, 301
  8. OH JK, HATLE LK, SEWARD JB, et al. Diagnostic role of Doppler echocardiography in constrictive pericarditis. J Am Coll Cardiol 1994; 23:154-62
  9. SOHN DW, KIM YJ, KIM HS, et al. Unique features of early diastolic mitral annulus velocity in constrictive pericarditis. J Am Soc Echocardiogr 2004; 17:222-6
  10. TAKATA M, HARASAWA Y, BELOUCIF S, ROBOTHAM J. Coupled vs uncoupled pericardial constraint: effects on cardiac chamber interactions. J Appl Physiol 1997; 83:1799-1813 
  11. TALREIRA DR, EDWARDS WD, DANIELSON GK, et al. Constrictive pericarditis in 26 patients with histologically normal pericardial thickness. Circulation 2003; 108:1852-7
  12. ZHANG S, KERINS DM, BYRD BF. Doppler echocardiography in cardiac tamponade and constrictive pericarditis. Echocardiography 1994; 11:507-21