Il est important pour un anesthésiste d’être au courant des grandes lignes thérapeutiques de l’ischémie myocardique chronique pour deux raisons : 1) connaître les substances que prennent les patients qu’il endort, et 2) pouvoir équilibrer un traitement préopératoire.
Le traitement de la maladie coronarienne vise à améliorer le pronostic et à réduire les symptômes [2,5,6,11]. Il est basé sur trois pôles.
- Une hygiène de vie (Tableau 9.9);
- Un suivi médicamenteux (Tableau 9.10);
- Une éventuelle revascularisation.
Traitement médical de la coronaropathie
Le but est de freiner la progression de la maladie athéromateuse, de stabiliser les lésions instables, de prévenir la thrombose et d’améliorer la fonction endothéliale.
- Modifications du style de vie.
- Inhibition de l’agrégation plaquettaire.
- Aspirine 75 – 150 mg/j à vie ; réduction de mortalité de 20% après syndrome coronarien aigu (SCA).
- Clopidogrel (75 mg/j) en cas d’intolérance à l’aspirine, ou en association pendant 12 mois après un SCA.
- La bithérapie n'est pas bénéfique dans l'angor stable non revascularisé [11].
- Hypolipémiants.
- Statines pour maintenir le LDL à 2.6 mmol/L ; les statines ont des effets hypolipémiants, anti-inflammatoires et stabilisateurs des plaques athéromateuses ; chez le coronarien, elles réduisent de 30% la mortalité et le risque de récidive cardiovasculaire.
- Ezétimide (inhibition de l’absorption entérale du cholestérol).
Traitement du remodelage ventriculaire
Le but est de prévenir les modifications structurelles défavorables qui surviennent dans le myocarde à cause de l’ischémie ou d’un infarctus, et de freiner l’installation d’une insuffisance ventriculaire [12].
- Béta-bloqueurs cardiosélectif (métoprolol, bisoprolol, aténolol): améliorent le pronostic après infarctus ou insuffisance du VG (réduction du risque de décès et d'infarctus de 30%) ; traitement à vie.
- Baisse du tonus sympathique et de la pression artérielle.
- Amélioration du rapport DO2/VO2 myocardique.
- Diminution du risque d’arythmie.
- Inhibiteurs de l’enzyme de conversion du système rénine-angiotensine (IEC).
- Vasodilatateurs des vaisseaux de résistance et de capacitance.
- Freinateurs du remodelage ventriculaire et de l’apoptose.
- Stabilisation endothéliale.
- Indiqués chez tous les patients coronariens avec dysfonction du VG asymptomatique ou symptomatique, hypertension artérielle, et/ou diabète.
- Antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA) : prescrit en cas d’intolérance aux IEC ; effets identiques.
- Inhibiteur de l’aldostérone (éplérénone) : efficace si débuté immédiatement après un infarctus avec FE abaissée (FE ≤ 0.4), insuffisance cardiaque ou diabète.
Traitement médical de l’ischémie myocardique chronique
Le but est d’améliorer le transport d’O2, de diminuer sa consommation au niveau myocardique et de traiter l'angor. On joue sur plusieurs facteurs (voir Tableau 9.10) [2,5,6,9,11,12].
- β-bloqueurs : ils diminuent la mVO2 (bradycardie, effet inotrope négatif).
- Ils sont un traitement d’appoint dans le SCA et un bon effet contre l’angor.
- Ils ne sont pas associés à une réduction du risque cardiovasculaire dans la coronaropathie stable, mais améliorent le pronostic après un infarctus [1].
- En préopératoire, ils ont les mêmes indications qu’en dehors du contexte chirurgical (voir Chapitre 3 β-bloqueurs) [7].
- Bloqueurs calciques : vasodilatateurs épicardiques et systémiques, ils baissent la contractilité de manière variable et sont potentiellement dangereux en cas d'insuffisance cardiaque associée.
- Non-dihydropyridines (diltiazem, vérapamil) : effet inotrope et chronotrope négatifs, frein à la conduction AV ; risque de bradycardie et de bloc plus marqué pour le verapamil que pour le diltiazem.
- Dihydropyridines (amlodipine, nifédipine) : effet tachycardisant.
- Alternative pour les malades qui ne supportent pas les β-bloqueurs (asthme, angor de Prinzmetal, vasculopathie artérielle).
- Excellents anti-hypertenseurs (mais risque de PAdiast trop basse).
- Relâchement du spasme coronarien (diltiazem).
- Dérivés nitrés : vasodilatateurs des vaisseaux veineux, épicardiques et des collatérales, mais non des vaisseaux résistifs (nitroglycérine, dinitrate d'isosorbide).
- Freinent la vasoconstriction due au dysfonctionnement endothélial dans la maladie athéromateuse (par libération de NO•).
- La veinodilatation diminue la tension de paroi ventriculaire.
- Risque d’accoutumance, d'hypotension et de céphalée; hypotension sévère en cas d'association avec un IPDE-5 (sildénafil, etc).
- Traitement efficace de la crise d’angor, mais pas d’effet prophylactique ni d’amélioration du pronostic à long terme.
- Molsidomine : effet et mécanisme identique à ceux des nitrés.
- Libération de NO• .
- Vaodilatation veineuse et coronarienne.
- Nicorandil : activateur des canaux potassiques (KATP) et diminution du Ca2+ cytoplasmique.
- Vasodilatateur veineux et coronarien; vasodilatateur des coronaires épicardiques.
- Améliore le pronostic à long terme.
- Ranolazine : inhibition du courant sodique tardif et diminution du Ca2+ cytoplasmique.
- Traitement efficace de la crise d’angor, pas de bradycardie ni d'hypotension.
- Effet lusitrope positif et effet anti-ischémique.
- Allongement QT.
- Adjuvant en cas d’angor réfractaire.
- Ivabradine : inhibiteur d’un canal ionique spécifique du nœud sinusal.
- Effet bradycardisant (allongement de la diastole).
- Pas d’effet inotrope, pas d’hypotension ni de bloc AV.
- Alternative en cas de contre-indication aux β-bloqueurs.
La prise en charge consiste en plusieurs éléments: style de vie adapté (exercice, perte pondérale, diète pauvre en sucre et en graisse, cessation de la fumée), aspirine, statine, hypotenseur (PAsyst visée: 120-140 mmHg), dérivés nitrés sublinguaux selon besoin, béta-bloqueur ou bloqueur calcique. Une consommation de plus de 3 comprimés de nitroglycérine lors des épisodes d'angor fait suspecter une aggravation de la maladie. La ranolazine (Ranexa®) est un anti-agineux de deuxième intention qui améliore la symptomatologie mais ne modifie pas la mortalité; elle est particulièrement indiquée chez les patients bradycardes et hypotendus car elle est sans effet sur la fréquence cardiaque et la pression artérielle. Par contre, elle allonge l'intervalle QT [3]. L'ivabradine (Procorolan®, Carivalan®) est un agent bradycardisant qui n'a sa place qu'en cas d'insuffisance ventriculaire associée [9].
Traitement interventionnel
En principe, la revascularisation est indiquée lorsque l'angor devient réfractaire à la thérapeutique médicale optimale ou lorsque les examens fonctionnels montrent la présence de zones souffrant d'ischémie active. Comme il s'agit le plus souvent d'une pathologie tritronculaire, elle devrait être aussi complète que possible pour effacer les symtpômes et améliorer le pronostic [8]. Elle doit porter sur les lésions intermédiaires-à-sévères qui limitent le flux coronaire et induisent une ischémie distale: fraction de réserve de flux (FFR) < 0.8, masse de myocarde à risque > 10% [13]. Les anciennes définitions de la sévérité (surface d'ouverture résiduelle < 2-4 mm2 dans les vaisseaux épicardiques et < 3.2-6 mm2 dans le tronc commun) ne sont plus considérées comme fiables [11]. Basés sur la FFR, les PAC avec des pontages artériels ou la PCI avec des DES de 2ème-3ème générations diminuent la mortalité à long terme de 20-35% (les études avec les BMS et les DES de 1ère génération n'ont jamais démontré un bénéfice de survie) [13,16]. En général, le risque de réintervention est plus grand avec la PCI qu'avec les PAC; ces derniers sont préférables dans les lésions complexes (score SYNTAX > 32) et permettent une revascularisation plus complète, mais au prix d'un risque d'AVC plus élevé. A l'exception d'un meilleur soulagement de l'angor et d'une réduction des revascularisations ultérieures, la PCI ou les PAC n'offrent pas d'avantages par rapport à un traitement médical optimal en terme de survie [11]. Toutefois, la question du choix entre une intensification du traitement médical ou une procédure invasive est encore largement débattue, avec des arguments fondés sur des évidences cliniques pouvant être interprétées en faveur de chacune des deux options [14]. Afin d'orienter les choix, les recommandations actuelles sont en faveur du traitement invasif dans un certain nombre de situations où celui-ci élimine l'angor, améliore la survie et limite le risque d'infarctus chez les malades symptomatiques souffrant d'ischémie active [4,5,11,13,15].
- Lésion du tronc commun ou de l'IVA proximale;
- Maladie mono- ou bi-tronculaire avec IVA proximale ou tronc commun;
- Maladie tritronculaire;
- Maladie tritronculaire avec une FE < 40%;
- FFR < 0.8, masse à risque > 10% de la masse du VG.
En l'absence d'une de ces situations, avec une symptomatologie maîtrisée par le traitement médical et une FFR > 0.8, il n'y a pas lieu d'intervenir. Le choix de la méthode de revascularisation (PCI + stent versus PAC) est discuté dans la section Comparaison des thérapeutiques.
Traitement de l'ischémie coronarienne chronique |
- Dérivés nitrés à la demande
- Béta-bloqueur β1-séléctif
- Antiplaquettaire: aspirine (clopidogrel si contre-indication ou intolerance à l'aspirine)
- Statine (dosage élevé)
- IEC ou ARA en cas d'hypertension artérielle ou d'insuffisance cardiaque
- Bloqueur calcique: spasme coronarien, alternative au béta-bloqueur
- Modifications du style de vie: activité physique, diète, perte de poids, stop fumée
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© BETTEX D, CHASSOT PG, RANCATI V, Janvier 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
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