14.5.6 Protection cérébrale et séquelles neurologiques

Les troubles neurologiques postopératoires sont fréquents chez le nouveau-né et chez l’enfant : 6-25% [7], dont 2.3% de complications aiguës [16]. Alors qu’elles sont préférentiellement de nature embolique chez l’adulte, les séquelles neurologiques sont en majeure partie de nature ischémique chez l’enfant, notamment à cause de la fréquence des épisodes de bas débit ou d’arrêt circulatoire en hypothermie profonde [1]. D’autre part, certaines malformations congénitales sont accompagnées de pathologies cérébrales qui péjorent le pronostic. 
 
Les séquelles neurologiques se manifestent sous plusieurs formes.
 
  • Convulsions : 20% des nouveaux-nés; les signes EEG sont plus fréquents que les crises convulsives cliniques. Bien qu’elles se résolvent spontanément, ces convulsions altèrent le pronostic neurologique à long terme [18].
  • Choréoatétose : 1-20% des cas d’arrêt circulatoire. Les mouvements hyperkinétiques sont le résultat de lésions des ganglions basaux; ils surviennent le plus fréquemment chez les enfants porteurs de collatérales aorto-pulmonaires qui opèrent un vol dans la circulation systémique. La période la plus vulnérable est de 6 mois à 6 ans [22].
  • Retard de développement psychomoteur et intellectuel : un arrêt circulatoire jusqu’à 30 min à 18°C n’a que des effets minimes [17]. Les enfants cyanosés et les porteurs de collatérales aorto-pulmonaires sont les plus à risque [14].
De nombreuses séries observationnelles ou prospectives mettent en évidence une association entre les troubles neurologiques postopératoires et divers éléments de la prise en charge peropératoire: la durée du support circulatoire (CEC, ECMO), la durée de l’ischémie cérébrale, la qualité du refroidissement et du réchauffement, l’hématocrite, la régulation acido-basique et la gestion de la glycémie. Une durée de refroidissement de moins de 20 minutes et une régulation de type α-stat sont statistiquement liés à une péjoration du développement intellectuel chez le petit enfant [2]. Un réchauffement rapide est à l’origine d’un rebond hyperthermique cérébral (T° cérébrale moyenne 39.6°C) [3]; cette élévation thermique est en relation directe avec les déficits neurologiques postopératoires [10,20]. Bien qu’elle soit associée à une péjoration des séquelles neurologiques lors d’ischémie cérébrale chez l’adulte, l’hyperglycémie ne semble pas être un facteur déterminant dans la fonction neuronale après CEC chez l’enfant. Chez le nourrisson, l’hypoglycémie est plus inquiétante [5]. Toutefois, les études d'ensemble montrent que le status neurocomportemental préopératoire et les circonstances postopératoires extrahospitalières ont un poids considérable et surpassent l'impact des évènements peropératoires, qui ne compte que pour 5% dans la péjoration du status [9]. Malgré les progrès de la prise en charge périopératoire, le dévelopement psychomoteur des enfants de < 1 an opérés de cardiopathies congénitales ne s'est guère amélioré avec le temps, essentiellement parce qu'il est principalement lié au poids à la naissance, aux anomalies génétiques, aux malformations associées, au status neurologique propre de l'enfant et aux conditions socio-culturelles de la famille [8].
 
Protection cérébrale
 
La complexité des reconstructions chirurgicales et l'exiguïté du champ opératoire chez les nourrissons obligent fréquemment à interrompre la CEC de façon momentanée. Une revue systématique des moyens utilisés pour protéger le fragile cerveau des petits enfants pendant cette période critique montre qu'aucune donnée clinique ne permet d'établir la supériorité d'une technique par rapport aux autres, ni de prouver son impact positif sur le devenir neurologique des enfants [11]. Selon la classification habituelle des recommandations, toutes les techniques de protection cérébrale sont de classe IIB (la procédure peut être envisagée) ou III (la procédure est sans intérêt); le degré d'évidence est de catégorie B (études observationelles) ou C (registres, consensus d'experts) [11]. Seules quelques mesures semblent offrir un bénéfice en terme de séquelles neurologiques (classe IIA: la procédure est raisonnable).
 
  • Eviter une hémodilution trop profonde et maintenir l'Ht > 24% [23];
  • Eviter l'hypoglycémie; un contrôle strict de la glycémie n'est pas indiqué [5];
  • Refroidir le cerveau [13];
  • Limiter la durée de l'arrêt circulatoire [21].
L'analyse rigoureuse de l'abondante littérature sur le sujet démontre qu'aucune des nombreuses attitudes adoptées en clinique ne se démarque par un impact clairement significatif sur la protection cérébrale: gestion alpha-stat ou pH-stat de l'équilibre acido-basique, moyens de surveillance neurologique, procédures de refroidissement, modalités chirugicales (arrêt circulatoire en hypothermie profonde, CEC continue à bas débit, ou perfusion cérébrale isolée) [11]. Ceci dit, l'enjeu est tel qu'on ne peut pas se résigner à un froid minimalisme. Il existe toute une série de mesures dont la conjonction tend à diminuer les facteurs de risque et à augmenter la marge de sécurité. Même si les protocoles diffèrent d'un centre à l'autre, leur application rigoureuse par une équipe qui en a une expérience routinière améliore progressivement les résultats. Un éventail de techniques est ainsi à disposition dans le but de minimiser les séquelles neurologiques [4]. 
 
  • Hématocrite maintenu à > 24%, y compris en hypothermie profonde [23].
  • Maintien d'une glycémie suffisante pour éviter toute hypoglycémie [5].
  • Respect des durées de l'arrêt circulatoire compatibles avec une récupération neurologique probable: 3-5 minutes à 37°, 12 minutes à 28°, 35 minutes à 18° [13].
  • Perfusion cérébrale hypothermique (22-28°) continue ou intermittente par la CEC [6].
  • Perfusion cérébrale hypothermique (22-28°) régionale par canulation carotidienne [21].
  • Stratégie de type pH-stat pendant le refroidissement et le réchauffement [2].
  • Durée suffisante du refroidissement et du réchauffement (≥ 20 minutes) [2,24].
  • Limitation de l'œdème tissulaire: régime liquidien restrictif, ultrafiltration modifiée en fin de CEC [19].
  • Maintien d'un apport d'O2, d’une pression de perfusion et d’un débit cardiaque adéquats dès la fin de CEC.
  • Traitement de toute hyperthermie postopératoire [3].
  • Agents pharmacologiques à visée neuroprotectrice: stéroïdes, mannitol, allopurinol, bloqueurs calciques, magnésium. Aucun ne présente une efficacité indubitable [15].
  • Anesthésie et curarisation profondes [12].
 
 Séquelles neurologiques
Les séquelles neurologiques (6-25% des cas) sont essentiellement de nature ischémique et non embolique chez l’enfant (hypothermie-réchauffement, arrêt circulatoire, hypoxie, hypoperfusion, hypoglycémie).
    - Délire, agitation
    - Convulsions
    - Choréoatétose
    - Retard psychomoteur
 
Mesures de protection cérébrale
    - Maintenir l'Ht ≥ 24%
    - Eviter l'hypoglycémie
    - Limiter la durée d'arrêt (5 min à 37°, 12 minutes à 28°, 35 minutes à 18°)
    - Refroidissement et réchauffement lents (> 20 minutes ou 0.5°/min)
    - Eviter l'hyperthermie cérébrale (T° sang max 37°)
 
 
© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai 2018
 

Références
 
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