De manière simplifiée, l’insuffisance rénale terminale présente quelques caractéristiques physiopathologiques particulières pour l'anesthésie [1,6,7].
- La capacité d’excrétion du sodium diminue avec la filtration glomérulaire (FG) ; le patient est incapable d’éliminer la moindre charge sodique, d’où risque d’hypervolémie. A l’inverse, il ne peut pas conserver adéquatement le sodium (lésions tubulaires) en cas de perte excessive par des fuites anormales (diarrhées, iléus).
- La clairance de l’eau libre diminue proportionnellement à la FG ; les patients sont en général en surcharge de volume. L’administration de perfusats riches en eau (solutions glucosées) conduit à une hémodilution excessive.
- L’excrétion de potassium est gérée au niveau des tubes collecteurs ; lorsqu’elle devient déficiente, une hyperkaliémie s’installe et les malades sont incapables d’excréter une surcharge potassique (Ringer-lactate, transfusions, cardioplégie). Le risque d’arythmie est insignifiant tant que la kaliémie est < 6.5 mmol/L. Le traitement de l’hyperkaliémie est l’administration de bolus de Ca2+ (10 mL gluconate Ca2+ 10%), de bicarbonate (1.5 mmol/min) et d’une perfusion d’insuline/glucose (200 mL glucose 20% + 20 UI insuline rapide, ou 10 UI dans 50 mL glucose 50%).
- Les malades souffrent en général d’une acidose hyperchlorémique, d’une hypocalcémie et d’une hypermagnésémie.
- L’anémie chronique due au défaut de synthèse de l'érythropoïétine correspond à une Hb de 60 à 80 g/L ; une préparation préopératoire avec de l’EPO (3 doses en 3 semaines) supplémentée de fer permet une amélioration de 10 g/L par dose. Il faut toutefois éviter de dépasser 115 g/L Hb.
- Une diathèse hémorragique est fréquente (40% des cas); elle est associée à une dysfonction plaquettaire (fixation anormale du facteur von Willebrand, métabolisme anormal de l’acide arachidonique, excès de prostacycline et de NO) [3].
- Le débit urinaire peut être nul (anurie) ou conservé ; dans ce dernier cas, le débit quotidien est variable, mais l’urine n’est qu’un ultrafiltrat du plasma (isosténurie). La présence d’un certain débit urinaire donne toutefois une marge de manœuvre dans la gestion des perfusions liquidiennes.
- L'incidence d'hypertension artérielle et de coronaropathie est importante. Si la première est facile à évaluer, la seconde est souvent silencieuse et réclame des investigations particulières (écho de stress, angio-CT) [5,10]
En préopératoire, il importe de s'enquérir du degré de dyspnée, de la diurèse résiduelle, de la volémie apparente, du gain de poids entre les dialyses, de la date de la dernière dialyse, et des résultats de laboratoire: créatininémie, kaliémie, hémoglobine, équilibre acido-basique, temps de saignement. A l'ECG, on recherche les signes d'hyperkaliémie, un bloc de branche, un QT long ou les signes d'une péricardite. La radiographie du thorax peut révéler une silhouette cardiaque modifiée (insuffisance congestive, épanchement péricardique), une surcharge pulmonaire ou un épanchement pleural. L'échocardigraphie permet d'évaluer la fonction ventriculaire systolo-diastolique et la présence d'un épanchement péricardique.
Pour que le patient soit le mieux équilibré possible, une dialyse doit être prévue la veille de l'intervention en retirant le maximum d'eau possible sans tomber dans l'hypovolémie; sinon, un délai de 6 heures doit être respecté entre la dialyse et l'opération afin d'éliminer l'effet de l'héparine et de rééquilibrer le status hémodynamique [6].
Pour autant qu'on n'utilise pas de substances néphrotoxiques ni de médicaments à élimination rénale, la technique d'anesthésie a moins d'importance que le maintien d'une volémie et d'une pression de perfusion normales pendant toute l'intervention, y compris pendant la CEC. Tous les agents d'anesthésie, intraveineux ou volatils, peuvent modifier la répartition du FPR intrarénal lorsqu'ils altèrent le débit cardiaque et baissent la pression artérielle. Parmi les halogénés néphrotoxiques, le methoxyflurane et l'enflurane ont été abandonnés, mais le sevoflurane est largement utilisé. Or ce dernier est métabolisé pour 5%, ce qui produit des dérivés fluorés en quantité dosable, mais dont la concentration n'atteint probablement jamais le seuil de toxicité. La proportion de l'isoflurane métabolisé est moindre. Utilisé à bas débit de gaz frais, le sevoflurane interagit avec la chaux sodée pour former le composé A qui est néphrotoxique; il est toutefois peu probable que ceci soit responsable d'une insuffisance rénale significative chez l'homme [4]. Il est donc recommandé de ne pas dépasser 2 MAC / heure à un débit de gaz frais < 1 L/min [2]. Pour rappel, le Tableau 21.12 énumère les agents d'anesthésie recommandés ou contre-indiqués en cas d'insuffisance rénale.
Le régime des perfusions est commandé par la nécessité de restreindre au maximum tout apport liquidien. Les solutions de préférence sont des solutions "balancées" (Hartmann, Plasmalyte) pauvres en K+; le NaCl 0.9% conduit à une acidose hyperchlorémique s'il est le seul perfusat. Les colloïdes de type HAES présentent un risque de néphrotoxicité et sont formellement déconseillés tant qu'il subsiste une fonction rénale. Lorsque cette dernière est nulle (absence de débit urinaire), cette attitude est discutable. Cependant, il est préférable de s'en abstenir chez les insuffisants rénaux.
Le cathéter artériel est placé de préférence en position fémorale pour éviter de compromettre les sites radiaux, précieux pour la confection des fistules artério-veineuses de dialyse [6]. En CEC, un circuit d'hémofiltration permet de mieux gérer le volume liquidien et l'équilibre électrolytique.
En chirurgie générale, la péridurale thoracique ou l'anesthésie combinée semblent offrir un certain degré de protection rénale: la sympathicolyse de la péridurale (D4-D10) freine la vasoconstriction rénale, pour autant que la pression de perfusion et le débit cardiaque soient maintenus. D'une manière générale, on n’a pas démontré de clair avantage de l’anesthésie combinée sur la fonction rénale ou l’incidence de néphropathie postopératoire [9]. Une seule étude a mentionné un effet néphroprotecteur lors de pontages aorto-coronariens [8].
Anesthésie pour le du patient en insuffisance rénale |
Restriction dans le métabolisme des solutions hydro-électrolytiques
- Perte de la capacité de concentrer l’urine (isosténurie)
- Excrétion de Na+ et de K+ diminuée
- Diminution de la clairance de l’eau libre
- Débit urinaire variable
Acidose hyperchlorémique, hypocalcémie, hypermagnésémie
Anémie (Hb 60-80 g/L)
Dysfonction plaquettaire
Retard d'élimination et prolongation de la demi-vie de nombreuses substances
Dialyse préopératoire la veille de l'opération. Restriction liquidienne peropératoire; éviter les HAES et le NaCl 0.9%.
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© CHASSOT PG, Septembre 2007, dernière mise à jour, Décembre 2018
Références
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- HAKEEM A, BHATTI S, CHANG SM. Screening and risk stratification of coronary artery disease in end-stage renal disease. JACC Cardiovasc Imag 2014; 7:715-28
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