La cohorte des gens âgés ne cesse d’augmenter. En Europe et en Amérique du Nord, on estime que 19-22% de la population générale ont plus de 65 ans [17]. Cette classe d’âge représente 35% des patients chirurgicaux et consomme 40% des ressources de la santé publique [2]. De plus, elle est le groupe dont la croissance est la plus rapide : si le rythme reste soutenu ces prochaines décennies, 30% de la population aura plus de 65 ans en 2025 et plus de 80 ans en 2060 [11]. Or l’âge représente un facteur de risque indépendant pour les complications postopératoires (OR 2.99) et pour la mortalité (OR 1.88) [13]. En moyenne, la mortalité opératoire est doublée au-delà de 70 ans et quadruplée au-delà de 90 ans [17]. Mais l’âge n’est probablement pas un facteur de risque en soi. Il est le marqueur d’une prévalence élevée de comorbidités. Les lésions cardiovasculaires de la sénescence sont le fruit d’expositions répétées ou continues à des éléments adverses, évitables ou non, dont l’âge ne fait que mesurer la durée [10]. Bien que rien ne parvienne à enrayer le vieillissement physiologique, de nombreuses mesures peuvent toutefois abaisser l’incidence des maladies cardiovasculaires liées à l’âge : restriction calorique, activité physique, abstinence de tabac, hypolipémiants, etc. Seulement 20-30% de la variabilité de l’espérance de vie sont génétiquement déterminés. L’âge physiologique, défini par l’étendue de la dégénérescence clinique, peut ainsi être très différent de l’âge nominal.
L'âge physiologique est bien exprimé par la notion de fragilité (frailty) des malades. La fragilité représente une vulnérabilité extrême conduisant à l'incapacité du malade à maintenir son homéostase face aux modifications de son environnement, aussi bien physique que psychique. Elle est liée à l'effet cumulatif du déclin de nombreux systèmes avec l'âge. Sa prévalence est de 16% entre 80 et 84 ans, et de 26% au-delà de 85 ans [5]. Elle est fréquemment associée à des maladies cardiovasculaires (OR 4.1) [1]. Cette perte de la résilience entame tellement les réserves physiologiques que des stresseurs minimes peuvent déclencher des altérations disproportionnées de l'état clinique. Le diagnostic de fragilité est très important parce que ces patients sont gravement péjorés par le stress majeur d'une intervention chirurgicale, quand bien même leur âge chronologique n'est pas en soi une contre-indication [4]. Chez les malades frêles, le hazard ratio (HR) est de 4.9 pour les complications cardiaques; pour la mortalité, il est de 2.6 – 3.7 dans les opérations en CEC, de 5.0 pour la chirurgie aortique, de 3.2 - 4.2 dans les TAVI (pose de valve aortique par cathétérisme) et de 3.06 dans les MitraClip™ [1,7,12,14]. En chirurgie non-cardiaque majeure, la mortalité est triplée (OR 3.1) [15,17]. D'autre part, la qualité de vie est péjorée pour au moins 20% des patients après l'intervention [9].
La clinique est constituée de différents éléments: faiblesse, fatigabilité, chutes répétitives, inactivité, perte pondérale, malnutrition, sarcopénie, rapetissement corporel, dépendance, lenteur de la marche (> 6 sec pour 5 m), dépression, altérations cognitives, épisodes de délire, anémie, immunodéficience. La lenteur de déplacement est directement corrélée à la survie à 5 ans; celle-ci baisse de 12% pour chaque 0.1 m/s de ralentissement: elle est ≥ 95% lorsque la vitesse de marche est > 1.5 m/s et < 60% lorsqu'elle est < 0.5 m/s [16]. La vitesse de la marche est l'élément qui a la meilleure valeur prédictive pour les complications postopératoires [8]. En préopératoire, une physiothérapie ciblée sur la capacité ventilatoire peut réduire de moitié le taux de pneumonie et d'atélectasie [8].
On peut constituer des indices de risque avec les différents symptômes, pour en faire des prédicteurs quantitatifs du risque opératoire, augmentant de 2 à 4 fois la mortalité lorsqu'ils s'élèvent [3,8]. Il en existe de nombreux exemples [6,9].
On peut constituer des indices de risque avec les différents symptômes, pour en faire des prédicteurs quantitatifs du risque opératoire, augmentant de 2 à 4 fois la mortalité lorsqu'ils s'élèvent [3,8]. Il en existe de nombreux exemples [6,9].
- Score de Fried: perte de poids, poigne, rapidité d'épuisement, vitesse de marche sur 5 m, niveau d'activité physique.
- Score d'Edmonton: cognition, humeur, continence, indépendance, état général, dénutrition, médication, support social.
- Performance physique: nombre de marches à la montée, balance à la station verticale, lever depuis une chaise, lever un poids, se pencher, s'agenouiller et se relever, mettre et enlever une jaquette, ramasser un objet au sol, tourner de 360°.
- Données personnelles: âge, statut social, anamnèse d'AVC ou d'infarctus, comorbidités.
- Laboratoire: albumine sérique, créatininémie, CRP, hémoglobine; expiration forcée en 1 seconde; indice corporel < 18.5 (femme) à 19.5 (homme).
En préopératoire, une physiothérapie ciblée sur la capacité ventilatoire peut réduire de moitié le taux de pneumonie et d'atélectasie [8].
La sénescence |
Les personnes âgées représentent une proportion de plus en plus importante de la patientèle chirurgicale. La vieillesse est un facteur de risque lié à la durée d'exposition aux comorbidités. La mortalité opératoire moyenne est doublée au-delà de 70 ans et quadruplée au-delà de 90 ans. La fragilité est une vulnérabilité extrême des personnes âgées aux situations stressantes; elle triple le risque opératoire. |
© CHASSOT PG, Septembre 2007, dernière mise à jour, Décembre 2019
Références
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