29.2.7 Réactivité plaquettaire et évènements cliniques

Les modifications génétiques sont responsables de moins de 20% de la variabilité dans la réponse aux antiplaquettaires [9]. Elles sont une caractéristique permanente de l’individu. Mais cette empreinte première est influencée par les nombreux phénomènes qui surviennent dans l’évolution de ce dernier (Figure 29.8) :
 

Figure 29.8 : Illustration schématique de l’impact possible du génotypage et des tests de fonction plaquettaire combinés au status clinique [d’après réf 3]. Le génotypage peut se pratiquer en-dehors de tout événement ischémique aigu. Il analyse les constituants stables et permanents de l’organisme, mais il ne représente que < 20% de la variabilité dans la réponse aux antiplaquettaires. Les sujets hétérozygotes pour l’allèle hyporépondeur (CYP2C19*2) peuvent bénéficier d’une dose élevée de clopidogrel (la tendance actuelle est plutôt d’abandonner cette option), mais non les homozygotes ; ces derniers ont avantage à recevoir du prasugrel ou du ticagrelor. Le génotypage représente l’arrière-fond sur lequel se surimpose la situation clinique, comme les comorbidités, les co-médications et les évènements coronariens. Les tests d’agrégation plaquettaire mesurent la réponse à une dose de charge de la bithérapie, et de ce fait évaluent la réponse réelle du patient dans son contexte clinique. Ils offrent des critères de choix pour le type de stent (les BMS sont préférables aux DES de 1ère génération chez les hyporépondeurs), pour l’indication aux PAC (préférence chez les faibles répondeurs), ou pour opter en faveur d’autres agents (prasugrel, ticagrelor, bientôt elinogrel). Comme on procède à ces tests après la dose de charge, le changement de stratégie présente évidemment certaines difficultés.
 
  • Comorbidités : diabète, dysfonction ventriculaire, obésité, âge, tabagisme ;
  • Co-médications : IPP, statines ;
  • Types de lésions coronariennes (proximales, multiples), facteurs liés à l’angioplastie (type de stent, problèmes techniques) ;
  • Présence d’un syndrome coronarien aigu, importance du syndrome inflammatoire systémique.
D’où l’intérêt des tests d’agrégabilité thrombocytaires permettant d’évaluer le degré de réponse du patient à l’instant où il reçoit  des agents antiplaquettaires et tenant compte des facteurs cliniques intercurrents. Ces tests, décrits plus loin (voir Tests d’activité plaquettaire), sont en général pratiqués après la dose de charge en clopidogrel (300-600 mg). Bien que leur pertinence soit sujette à caution, ils tendent à montrer que la persistance d’une réactivité plaquettaire élevée sous bi-thérapie (aspirine et clopidogrel) puisse être un facteur de risque de décès et de complications cardiovasculaires (infarctus, revascularisation secondaire, AVC). Plusieurs études ont décrit un impact pronostique lorsque ces tests sont pratiqués lors de pose de stents. 
 
  • La thrombose de stent actif à 18 mois est 3-5 fois plus fréquente chez les patients résistants à l’aspirine (incidence 23%) ou au clopidogrel (incidence 40%) que chez ceux qui répondent normalement à ces médicaments (5% et 14% respectivement) [12].
  • Les faibles répondeurs ont un risque de thrombose de stent à 30 jours 9 fois supérieur à celui des répondeurs normaux (OR 9.4) ; leur mortalité est 3 fois plus élevée (OR 3.2) [15].
  • La persistance d’une réactivité élevée double le risque cardiovasculaire à 1 an (OR 2.1 – 2.5) [2].
  • Malgré une augmentation de la dose quotidienne de clopidogrel, les faibles répondeurs à la dose de charge ont davantage de complications cardiovasculaires (HR 1.49) et de mortalité (HR 1.81) à 2 ans que les répondeurs normaux [11].
Malheureusement, la corrélation entre les tests in vitro et le devenir clinique des malades est assez faible. Idéalement, le génotypage et les tests de fonction plaquettaire devraient aider à orienter la thérapeutique vers le traitement le plus adapté à chaque patient (voir Vers une thérapie sélective). Mais l’impact de ces tests sur le devenir des malades reste problématique pour plusieurs raisons [5,7,8].
 
  • Ces tests sont intéressants principalement lors de stents à haut risque, parce qu’une profonde dépression de l’activité plaquettaire est essentielle à la survie du stent, en particulier pendant le premier mois ; plus on s’éloigne de la période aiguë et de la PCI, moins ils sont utiles.
  • L’augmentation de la dose d’entretien du clopidogrel à 150-300 mg/j, qui rétablit la réactivité plaquettaire chez les hétérozygotes pour l’allèle CYP2C19*2 dans les tests génomiques [10], ne suffit pas à améliorer le pronostic des patients hyporépondeurs aux tests d’agrégabilité [13]. 
  • Les patients hyporépondeurs à une dose de charge (300-600 mg) de clopidogrel peuvent passer au prasugrel ou au ticagrelor, bien que cela pose un problème de séquence dans le temps ; par contre, ils ne semblent pas bénéficier d’une augmentation de dosage [13].
  • La thrombose de stent est déterminée par de nombreux autres facteurs, dont l’anatomie coronarienne, les difficultés lors de la pose, le nombre et le type de stents, l’occlusion de collatérales par les débris athéromateux, les comorbidités du malade, l’interruption des antiplaquettaires, etc.
  • La réponse d’un test pronostique ne peut être qu’une probabilité de risque ; la valeur prédictive positive pour la thrombose de stent est basse parce que cet événement est rare (2% la première année). Ces tests ne prédisent pas le risque hémorragique.
  • Les différents tests sont peu standardisés, leur degré de concordance est faible, et les seuils de signification sont à peine définis [1,16].
  • Chaque test analyse la réponse des plaquettes à la stimulation d’un seul récepteur, alors que les autres restent fonctionnels ; le devenir clinique pronostiqué par ces examens est amélioré si les tests sont combinés, par exemple en mesurant la réactivité plaquettaire à la thrombine (PAR-1) lors d’inhibition par un agent bloquant les récepteurs ADP [14].
  • Le plasma des malades souffrant d’un syndrome coronarien aigu contient toute une série de molécules produites au cours du syndrome inflammatoire ; elles ont un effet hyperagrégant plaquettaire puissant, même si les plaquettes sont normales. 
  • Les patients qui ont la plus faible réactivité plaquettaire sous antiagrégants sont aussi les plus exposés au risque de saignement [4].
Les tests de réactivité plaquettaire ne sont donc pas recommandés comme routine chez tous les malades, mais ils peuvent être utiles dans les cas à haut risque de thrombose de stent (recommandation classe IIb) [6,16]. De surcroit, l’utilisation de plus en plus généralisée du ticagrelor ou du prasugrel, auxquels la résistance est rare et faible, en limite considérablement la portée.
 
 
Réactivité plaquettaires et évènements cliniques
La persistance d’une réactivité plaquettaire élevée sous clopidogrel est associée à une augmentation des évènements ischémiques ultérieurs, particulièrement de la thrombose de stent. Pour l’instant, les tests plaquettaires ne paraissent avoir un impact que chez les patients à haut risque et pendant le premier mois. Ils peuvent aider à déterminer le meilleur choix thérapeutique dans ce contexte clinique précis (passage au prasugrel ou au ticagrelor, types de stents implantés, revascularisation chirurgicale). L’utilisation de plus en plus habituelle du ticagrelor a limité considérablement la portée de ces tests, qui ne sont pas recommandés de routine.


© CHASSOT PG, DELABAYS A, SPAHN D  Mars 2010, dernière mise à jour Août 2018
 
 
Références
 
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  2. BREET NJ, VAN WERKUM JW, BOUMANS HJ, et al. Comparison of platelet function tests in predicting clinical outcome in patients undergoing coronary stent implantation. JAMA 2010; 303:754-62
  3. CAYLA G, HULOT JS, O’CONNOR SA, et al. Clinical, angiographic, and genetic factors associated with early coronary stent thrombosis. JAMA 2011; 306:1765-74
  4. CHOI SY, KIM MH, SEREBRUANY V. The challenge for predicting bleeding events by assessing platelet reactivity following coronary stenting. Int J Cardiol 2016; 207:128-31
  5. GURBEL PA, TANTRY US. Do platelet function testing and genotyping improve outcome in patients treated with antithrombotic agents ? Circulation 2012; 125:1276-87
  6. HAMM CW, BASSAND JP, AGEWALL S, et al. ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation. Eur Heart J 2011; 32:2999-3054
  7. HOLMES DR, DEHMER GJ, KAUL S, et al. ACCF/AHA clopidogrel clinical alert: Approaches to the FDA "Boxed warning". J Am Coll Cardiol 2010; 56:321-41
  8. KRISHNA V, DIAMOND GA, KAUL S. Do platelet function testing and genotyping improve outcome in patients treated with antithrombotic agents ? Circulation 2012; 125:1288-303
  9. MEGA JL, CLOSE SL, WIVIOTT SD, et al. Cytochrome P450 polymorphisms and response to clopidogrel. N Engl J Med 2009; 360:354-62
  10. MEGA JL, HOCHHOLZER W, FRELINGER AL, et al. Dosing clopidogrel based on CYP2C19 genotype and the effect on platelet reactivity in patients with stable cardiovascular disease. JAMA 2011; 306:2221-8
  11. PARODI G, MARCUCCI R, VALENTI R, et al. High residual platelet reactivity after clopidogrel loading and long-term cardiovascular events among patients with acute coronary syndromes undergoing PCI. JAMA 2011; 306:1215-23
  12. PINTO SLOTTOW TL, BONELLO L, GAVINI R, et al. Prevalence of aspirin and clopidogrel resistance among patients with and without drug-eluting stent thrombosis. Am J Cardiol 2009; 104:525-30
  13. PRICE MJ, BERGER PB, TEIRSTEIN PS, et al. Standard- vs high-dose clopidogrel based on platelet function testing after percutaneous coronary intervention. The GRAVITAS randomized trial. JAMA 2011; 305:1097-105
  14. RANUCCI M, CODELLA D, BARYSHNIKIVA E, DI DEDDA U. Effect of preoperative P2Y12 and thrombin platelet receptor inhibition on bleeding after cardiac surgery. Br J Anaesth 2014; 113:970-6
  15. SIBBING D, BRAUN S, MORATH T, et al. Platelet reactivity after clopidogrel treatment assessed with point-of-care analysis and early drug-eluting stent thrombosis. J Am Coll Cardiol 2009; 53:849-56 
  16. TANTRY US, BONELLO L, ARADI D, et al. Consensus and update on the definition of on-treatment platelet reactivity to adenosine diphosphate associated with ischemia and bleeding. J Am Coll Cardiol 2013 ; 62 :2261-73