L’ETO peut avoir un impact thérapeutique dans une série d’interventions chirurgicales (Vidéos et Figure 25.247) [3,5].
- Neurochirurgie: risque de défaillance du VG lors d'hémorragie sous-arachnoïdienne. Opération en position assise : embolie gazeuse sous forme d’une pluie de bulles apparaissant comme de petites navettes oblongues dans les cavités droites. La sensibilité de l’échocardiographie est telle que l’incidence est de plus de 75% des cas lors de surveillance continue à l’ETO [7]. La présence d’un FOP, qui représente un risque d’embolie cérébrale et coronarienne, est une contre-indication à la position assise ; il doit être systématiquement recherché en début d’intervention.
- Coelioscopie: la précharge du VG est évaluée plus finement par ETO lorsque la PVC augmente à cause de la surpression abdominale [2].
- Orthopédie : passage d’embolies graisseuses lors de forage et d’impaction intramédullaire des os longs (fémur, tibia), particulièrement en cas de fracture pathologique. Il apparaît deux types d’emboles : miliaire de microembolies tout au long de l’intervention, et passage de masses lipidiques importantes (jusqu’à 2 cm) lors de surpression intramédullaire, visibles en transit dans le coeur droit.
- Chirurgie oncologique: embolisation de fragments par la VCI lors de la manipulation chirurgicale de tumeurs du rein ou de la surrénale ; mise en évidence de la tumeur dans la veine cave inférieure. Tumeurs médiastinales et hilaires : mise en évidence d’un envahissement du péricarde et éventuellement des structures cardiaques; ce dernier point est caractérisé par l'absence de plan de clivage entre la masse et le cœur lors de la contraction.
- Chirurgie thoracique: tolérance du VD au clampage de l'artère pulmonaire droite ou gauche.
- Chirurgie vasculaire: tolérance du VG au clampage de l’aorte; recherche de source d’embols artériels (thrombus auriculaire gauche, athérome mobile de l’aorte).
Vidéo: embol graisseux tournoyant dans l'OD lors d'une pose de prothèse de hanche.
Vidéo: embolie gazeuse lors de chirurgie de la fosse postérieure en position assise.
Vidéo: masses mobiles situées dans l'oreillette droite, d'origine indéterminable dans cette vue 4-cavités centrée sur l'OD.
Vidéo: en vue bicave modifiée, ces masses font partie d'une longue tumeur provenant de la veine cave inférieure; il s'agit de l'extension intravasculaire d'un hypernéphrome.
Figure 25.247 : Embolies peropératoires. A: embolie graisseuse au cours d'un enclouage du fémur pour fracture pathologique; présence d'un gros embol lipidique qui tournoie dans l'OD. B: embolie gazeuse par injection accidentelle d'air depuis une voie veineuse périphérique; les cavités droites sont remplis de bulles, mais l'OG en est libre car tout a pu être filtré dans les poumons.
Transplantation
Les candidats à une transplantation hépatique souffrent en général de varices oesophagiennes; le risque hémorragique lié à la sonde étant faible, l'ETO est régulièrement utilisée pour évaluer la volémie, la fonction du VG et du VD, et le risque embolique. Seuls les cas de saignements récents, massifs ou récurrents sont une contre-indication à l'ETO. L’insuffisant hépatique peut souffrir d’une cardiomyopathie infraclinique, masquée par une postcharge diminuée (RAS chroniquement basses) ; de nombreux malades souffrent également d’hypertension pulmonaire et de dysfonction droite en plus de l'hypertension portale [11,12]. Chaque phase de l'intervention présente ses caractéristiques propres.
- Phase de dissection : grandes variations de précharge (hémorragie, déplacements, compression et clampage de la veine cave inférieure).
- Phase anhépatique: réduction du retour veineux, hypovolémie, dysfonction bi-ventriculaire liée à l'endotoxémie; un soutien inotrope est en général requis.
- Phase de reperfusion : hypotension sur hypovolémie et vasoplégie, dysfonction ventriculaire (30% des cas), embolie pulmonaire (air, microthrombi), embolie paradoxale (29% des cas) par un FOP (passage immédiat dans l’OG) ou des shunts intrapulmonaires (passage dans l’OG retardé de 3-5 cycles cardiaques), dysfonction droite aiguë sur poussée d'hypertension pulmonaire. L'insuffisance droite est doublement pénalisante car elle cause une congestion veineuse du greffon en plus du bas débit pulmonaire.
- Contrôle de l’anastomose cave inférieure à l’entrée dans l’OD en vue bicave basse; la Vmax du flux doit être < 1.2 m/s. La sténose anastomotique se caractérise par une stase hépatique et une PVC basse.
Dans la transplantation pulmonaire, l’ETO permet essentiellement d’évaluer la fonction du VD face à l’hypertension pulmonaire (HTP), de surveiller sa tolérance au clampage de l’artère pulmonaire et de contrôler les anastomoses après l'intervention. Elle est en plus utile pour la gestion de l’hypovolémie et de la fonction biventriculaire [8,10]. D'autre part, elle est d'un grand apport pour le diagnostic différentiel d'une hypoxémie: crise hypertensive pulmonaire (Vmax IT), embolie pulmonaire, défaillance droite, ou shunt D-G intracardiaque (réouverture de FOP) (voir Chapitre 27, Transplantation pulmonaire).
- Clampage de l’AP : monitorage de la taille et de la fonction du VD (dilatation, bascule gauche du septum, hypokinésie de la paroi libre), de l’IT (Vmax augmentée ou effondrée), de l'OD (dilatation, septum bombé dans l'OG), de la VCI (dilatation et congestion), et du flux dans l’AP proximale (Vmax, forme de la courbe Doppler). Le clampage est mieux toléré si le VD est hypertrophié à cause d'une HTP chronique. En cas de dysfonction aiguë sévère et/ou d'hypoxémie profonde par réouverture d'un FOP, il est nécessaire de poursuivre l’opération en CEC ou en assistance par ECMO [4].
- Phase de reperfusion : risque de sténose infundibulaire dynamique de la chambre de chasse droite ("effet CMO" à droite) sur baisse brutale de la PAP face à un VD hypertrophié, et/ou d’insuffisance ventriculaire sur embolie gazeuse dans la CD suite à un débullage déficient des anastomoses veineuses. Evaluation de l’anastomose artérielle pulmonaire (tronc de l’AP ou AP droite, impossible sur l’AP gauche) ; le gradient maximal à travers l’anastomose doit être < 20 mmHg (Vmax < 2.0 m/s) et son diamètre au moins le 75% de celui de l'AP proximale [1,4]. En cas de doute, le passage d'un cathéter pulmonaire à travers l'anastomose, guidé par l'opérateur, permet de mesurer le gradient réel. Parfois, l'anastomose est trop distale sur l'APD ou l'APG pour être visible en ETO. Evaluation de l’anastomose veineuse pulmonaire (diamètre > 0.5 cm), la Vmax du flux d’entrée dans l’OG doit être < 1.5 m/s ; au-delà de ces valeurs, une révision chirurgicale s’impose [6,9].
- Recherche de thrombus dans l’OG et dans les veines pulmonaires (leur extraction demande une intervention en CEC) (Vidéo).
- En cas de transplantation bi-pulmonaire, le flux est très augmenté dans le premier greffon pendant le clampage du deuxième poumon. La Vmax dans l'AP et dans les veines pulmonaires y est plus élevée que la norme; elle doit être contrôlée en fin d'intervention pour s'assurer que cela ne masque pas des sténoses.
Vidéo: découverte fortuite d'un long thrombus dans l'OG après une transplantation pulmonaire; le thrombus est attaché à l'anastomose des veines pulmonaires droites.
En l’absence d’études contrôlées prouvant l’évidence de son impact, le rapport coût-bénéfice de l’ETO comme mode de surveillance en chirurgie non-cardiaque reste indéterminé. Il dépend pour l’instant du savoir-faire et des disponibilités de chaque institution. La seule indication formelle est le diagnostic peropératoire d’un effondrement hémodynamique inexpliqué.
© CHASSOT PG, BETTEX D. Mars 2011, Avril 2019; dernière mise à jour, Mars 2020
Références
Indications spécifiques à l'ETO |
L'ETO est particulièrement utile en chirurgie non-cardiaque dans certaines circonstances: - Neurochirurgie (embolie gazeuse) - Orthopédie (embolie graisseuse) - Chirurgie vasculaire (source d'embols artériels) - Transplantation hépatique (hypovolémie, défaillance ventriculaire, anastotmose VCI) - Transplantation pulmonaire (défaillance VD, débullage, hypoxémie, contrôle anastomoses artère et veines pulmonaires) |
© CHASSOT PG, BETTEX D. Mars 2011, Avril 2019; dernière mise à jour, Mars 2020
Références
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