Les glomérules filtrent passivement le plasma; ils reçoivent la majorité du flux plasmatique rénal (FPR), mais consomment peu d'O2. La médullaire, au contraire, a un débit sanguin plus faible, mais consomme beaucoup d'O2 car elle opère tout le travail de concentration active de l'urine; elle est donc beaucoup plus sensible à l'ischémie et à l'hypovolémie [6]. L'ischémie est évidemment quasi-complète (90%) lors de clampage sus-rénal. Mais lors de clampage sous-rénal, le flux plasmatique rénal est tout de même diminué de 38-50% et la clearance à l'hippuran de 29%; les résistances vasculaires rénales augmentent jusqu'à 75%; ces phénomènes se prolongent jusqu'à 60 minutes après le déclampage et compromettent sérieusement la perfusion médullaire [11]. Lorsqu'ils sont ischémies, l'endothélium rénal et les cellules tubulaires libèrent des radicaux libres, du NO et des cytotoxines [21]. Le taux d'insuffisance rénale postopératoire est de 3-5% dans la chirurgie sous-rénale, et de 17-22% lors de clampage sus-rénal [5,19]; il s'élève jusqu'à 28% dans les cures d'anévrysmes thoraco-abdominaux [16]. La mortalité de l'insuffisance rénale postopératoire nécessitant une dialyse est de 20-30%. Une augmentation de > 50 μmol/L de la créatinine survient dans 15% des cas et correspond à une aggravation du pronostic : la mortalité passe de 1.4% à 7.7% lorsque ce seuil est franchi [9].
Le risque d'insuffisance rénale est minime si l'ischémie dure moins de 30 minutes, mais il augmente de 10 fois lorsque celle-ci dépasse 1 heure [20,21]. Les facteurs déterminants pour l'apparition d'une insuffisance rénale postopératoire sont les suivants [12,23,48].
- Néphropathie préexistante (créatinine > 200 μmol/L);
- Age du patient (> 65 ans);
- Maladie athéromateuse (risque embolique peropératoire);
- Hypovolémie et hypotension per- et postopératoires;
- Durée de l'ischémie (clampage > 30 min);
- Agents néphrotoxiques;
- Anémie per- et postopératoire;
- Réponse inflammatoire systémique (endotoxines, cytokines, etc).
L’hypotension peropératoire et le bas débit cardiaque postopératoire sont les principaux facteurs de risque indépendants [19]. Réduire la durée de l'ischémie rénale et maintenir l'adéquation hémodynamique constante (pression de perfusion et volémie) sont donc les deux facteurs prioritaires pour la préservation de la fonction rénale périopératoire.
Agents néphroprotecteurs
Le mannitol, les diurétiques de l'anse et la dopamine sont souvent utilisés dans le but de prévenir les lésions ischémiques rénales. Comme celles-ci sont dévastatrices, on a tendance à utiliser toute substance qui pourrait avoir une activité prophylactique, même douteuse, pour autant qu'elle soit inoffensive. Or ces trois agents ne sont pas innocents: les diurétiques provoquent une hypovolémie dont le danger pour la fonction rénale est beaucoup plus important que le gain escompté sur la protection ischémique. La dopamine a des effets alpha et béta (vasoconstriction, tachycardie, augmentation de la VO2) proportionnels à la dose administrée qui sont délétères en cas d'ischémie myocardique. Ces substances augmentent certes le débit urinaire, mais la diurèse en elle-même, aussi consolante qu'elle soit pour l'anesthésiste, ne modifie pas le pronostic de l'insuffisance rénale postopératoire [1,2].
La dopamine à raison de 1-3 mcg/kg/min augmente le FPR, la filtration glomérulaire et la diurèse. Son effet rénal est davantage tributaire de l'augmentation du débit cardiaque et du débit mésentérique que d'un mécanisme protecteur sur les reins. La dopamine prophylactique à "dose rénale" ne s'est avérée d'aucune incidence sur la fonction rénale postopératoire ni sur le devenir des patients en état critique [3,10]. Lorsque les malades sont euvolémiques, elle n'améliore pas la fonction rénale ni le pronostic dans le cadre de la chirurgie aortique ou des soins intensifs chirurgicaux [4,8]. Bien qu'elle ait un effet favorable sur la diurèse, aucune étude clinique concluante n'a démontré un quelconque bénéfice à l'utilisation prophylactique de la dopamine dans le cadre de l'insuffisance rénale postopératoire [14,15].
Le mannitol est filtré complètement dans les glomérules, et n'est pas résorbé dans les tubules. Il augmente le volume plasmatique et la diurèse par augmentation de l'excrétion d'eau et diminution de la réabsorption de sodium. De plus, il a une activité anti-oxydante et s'oppose aux effets des groupes hydroxyles ("radicaux libres") libérés lors de la revascularisation. Les preuves de son efficacité comme agent protecteur contre les effets de l'ischémie rénale sont très pauvres; aucune étude clinique n'a mis en évidence une amélioration quelconque du pronostic de l'insuffisance rénale postopératoire [17].
Le furosémide augmente le FPR et baisse les résistances vasculaires rénales en plus de son effet diurétique. Son utilisation prophylactique diminue clairement l'incidence de l'anurie, mais ne modifie pas le pronostic de l'insuffisance rénale [2,7]. Aucune étude randomisée n'existe dans le cadre de la chirurgie aortique. En peropératoire, il n'a sa place que pour la démonstration de la reprise de la fonction rénale après une période d'ischémie liée à une reconstruction aortique, lorsqu'il y a un doute sur la qualité de la revascularisation chirurgicale; dans ce cas, l'absence de diurèse malgré 10-20 mg de Lasix® est une indication à compléter immédiatement l'intervention par un pontage supplémentaire ou une réinsertion des artères rénales.
Si la prophylaxie pharmacologique est sans effet, il n'en reste pas moins que quatre éléments ont une part prépondérante dans la genèse de l'insuffisance rénale postopératoire: la durée de l'ischémie, l'hypovolémie, l’hypotension (PAM < 70 mmHg) et l’anémie (voir Chapitre 21, Protection rénale). La première est du ressort de l'opérateur, mais les autres sont entre les mains de l'anesthésiste. Le maintien d'un volume circulant et d'une pression de perfusion adéquate est la clef de la prévention rénale. L'incidence de dysfonction rénale postopératoire passe de 33% à 10% lorsque les pressions de remplissage sont maintenues élevées (PAPO > 12 mmHg) tout au long de l'intervention sur l'aorte abdominale [13].
Dans les cas de clampage sus-rénal et d'ischémie totale des reins, la meilleure néphro-protection est une perfusions hypothermique par cathétérisme des artères rénales une fois l'anévrysme ouvert. Avec une perfusion cristalloïde à 20°C (20 mL/min) du parenchyme rénal, la consommation d'O2 n'y est plus que de 15% de sa valeur de base [24]. La perfusion est continuée pendant tout le temps du clampage [21]. Le taux d'insuffisance rénale postopératoire est abaissé de 22-28% à < 10% avec cette technique [22].
Insuffisance rénale postopératoire |
L’incidence et la gravité de l’IR postopératoire sont fonction de :
- Fonction rénale préopératoire (créatinine > 200 μmol/L)
- Durée de l’ischémie peropératoire
- Hypotension peropératoire (hypovolémie, vasoplégie) - Bas débit cardiaque
- Anémie
Aucun agent pharmacologique (dopamine, mannitol, diurétique) n’a d’effet protecteur significatif.
La meilleure protection est le maintien de la PAM (≥ 80 mmHg), du volume systolique et de l’Hb.
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© CHASSOT PG, TOZZI P, BETTEX D, Octobre 2010, Dernière mise à jour, Avril 2018
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