25.12.3 Monitorage hémodynamique

L'échocardiographie fournit un cadre physiopathologique et étiologique aux mesures effectuées par cathétérisme, et permet ainsi de les interpréter et de les comprendre dans une vision plus globale de l'hémodynamique [6]. Elle est un élément clef dans les décisions peropératoires majeures concernant la prise en charge des patients instables [3].

La vue court axe transgastrique du VG est particulièrement utile pour le suivi peropératoire de la fonction et du remplissage ventriculaires, car elle est stable et reproductible. En l’absence de remodelage ventriculaire ou d’altérations de la cinétique segmentaire (ACS), elle permet de bien évaluer la performance du VG (calcul de la FE par approximation géométrique) et de suivre ses dimensions : dilatation globale (dysfonction, excès de postcharge), diminution de la surface télédiastolique (hypovolémie), diminution de la surface télésystolique (hypovolémie, vasoplégie). Une vue rétrocardiaque mi-oesophage s’impose pour le suivi d’une insuffisance valvulaire, de la cinétique segmentaire, de l’effet CMO ou de l’embolie gazeuse ; elle est très utile lors de laparotomie haute à cause de l’instabilité de la position transgastrique. La variation ou l’apparition d’une insuffisance mitrale et/ou tricuspidienne est un élément très important dans le suivi fonctionel des ventricules. Par le biais d’une IM, on peut calculer la pression systolique intraventriculaire, même s’il existe une sténose aortique. L’insuffisance tricuspidienne permet de calculer la PAP systolique.

Anatomie fonctionnelle

Les mesures de pression et de débit obtenues par cathétérisme pulmonaire (Swan-Ganz) ou artériel (système PiCCO) procurent des informations sur la performance globale du cœur au sein de l'arbre vasculaire, mais ne donnent pas une image fiable de la contractilité ou de la relaxation myocardique, ni une information étiologique sur une éventuelle valvulopathie ou un épanchement péricardique. Leur corrélation avec la fraction d'éjection, par exemple, est non pertinente [1]. L'ETO, au contraire, informe instantanément de la fonction ventriculaire et valvulaire par l'évaluation intuitive de l'imagerie bi-dimensionnelle et par une série de mesures ou de calculs qui en permettent une détermination quantitative. Mais plusieurs problèmes limitent l'utilité de l'ETO en peropératoire.
 
  • La technique exige une formation adéquate, qui est routinière parmi les anesthésistes de chirurgie cardiaque mais non chez ceux qui sont en charge de la chirurgie générale.
  • L'information n'existe que pour autant qu'un anesthésiste formé observe l'écran, sans quoi elle est perdue; cette attention est en compétition avec les exigences de l'anesthésie d'un patient instable.
  • La machine d'échocardiographie ne possède pas de dispositif pour alarmer en cas de déviance; de plus, elle se met en veille arès un certain délai sans manipulation.
Ischémie

L’ETO n’a de valeur diagnostique pour l’ischémie myocardique que s’il existe des anomalies de contraction segmentaires et persistantes, et que si celles-ci surviennent chez des patients souffrant de lésions transmurales tronculaires comme ceux qui subissent des interventions de revascularisation coronarienne (Vidéo). Alors qu’elle s’élève jusqu’à 88% dans ce cadre, la valeur prédictive positive d’infarctus postopératoire n’est que de 33% pour les accidents ischémiques survenant en chirurgie non-cardiaque [4]. Dans ce dernier cas en effet, il s'agit le plus souvent de lésions sous-endocardiques invisibles à l'ETO mais entraînant des modifications électriques évidentes sur le segment ST.


Vidéo: akinésie latérale suite à une occlusion de l'artère circonflexe (défaut sur l'anastomose d'un pontage aorto-coronarien).

D’autre part, l’ETO est un instrument mal adapté à la surveillance continue de l’ischémie pour trois raisons.
  • Le système n’est fonctionnel que pour autant qu’un observateur surveille l’écran en permanence, comme mentionné précédemment ; il n’y a pas de repérage automatique comme pour le segment ST.
  • La surveillance des 17 segments du VG nécessite plusieurs plans d’observation ; il faut donc constamment modifier les vues pour analyser la totalité des ventricules. Bien que visualisant les trois territoires coronariens, la vue court axe transgastrique n’observe que la zone médioventriculaire et ne détecte que 17% des ACS [9] ; elle doit être complétée par des vues rétrocardiaques.
  • Plusieurs évènements induisent des ACS d’origine non-ischémique : bloc de branche, pace-maker, hypotension sévère, augmentation brusque de la postcharge.
L’ETO est donc peu performant comme monitorage de l’ischémie myocardique, mais reste un moyen inégalé de juger de la tolérance du VG vis-à-vis des variations de postcharge (clampage aortique, par exemple) ou de précharge (hypovolémie) associées à la chirurgie. La valeur de l’ETO comme monitorage fonctionnel dépend de l’acquisition d’images de référence en début d’intervention. Cet élément est capital pour pouvoir comparer l’évolution peropératoire d’une pathologie en fonction des évènements, et donc choisir la meilleure attitude thérapeutique.

Pressions

Il arrive dans certaines circonstances que les mesures de pression de remplissage ne soient d’aucune utilité pour évaluer la volémie ou la fonction : position anormale du coeur (position assise en neurochirurgie), augmentation des pressions veineuses centrales (coelioscopie), dysfonction diastolique majeure (hypovolémie à PVC et PAPO normales), compression extrinsèque, cardiopathie congénitale, ou cardiomyopathie obstructive. Par l'observation du volume des cavités cardiaques, l'ETO peut évaluer la volémie indépendamment de la compliance et de la pression. Il arrive aussi que la pression artérielle, systémique ou pulmonaire, ne soit pas un reflet du problème ventriculaire, comme dans la sténose sous-aortique dynamique, l’insuffisance valvulaire, ou certaines cardiopathies congénitales. Il se peut également que des variations brusques de postcharge, comme le clampage de l’aorte, modifient dangereusement les conditions de travail du ventricule sans que cela se traduise par des variations significatives de la pression artérielle. Dans ces conditions, la surveillance par l’échocardiographie est la seule possibilité de monitorage adéquat en peropératoire.

Comme le gradient de pression détermine la vélocité du flux entre deux cavités, l'analyse Doppler et l'équation de Bernoulli permettent de déterminer la pression dans une chambre si l'on connaît celle de l'autre. Toutefois, le calcul n'est possile qu'en présence d'une insuffisance valvulaire ou d'un shunt gauche – droit.
 
  • Insuffisance tricupsidienne (IT):             Psyst VD ou PAPsyst = 4 (Vamx IT)2 + POD;
  • Insuffisance pulmonaire (IP):                  PAPmoy = 4 (Vmax IP)2 + POD;
  •                                                                       PAPdiast = 4 (Vmax IP télédiast)2;
  • Insuffisance mitrale (IM):                         POG = PAsyst - 4 (Vmax IM)2;
  • Insuffisance aortique (IA):                       PtdVG = PAdiast – 4 (Vmax IA télédiast)2:
  • Communication interauriculaire (CIA):  POG = POD + 4 (Vmax CIA)2;
  • Communication interventriculaire:         PsystVD = PAsyst - 4 (Vmax CIV)2.
Débit cardiaque

L'échocardiographie trans-oesophagienne peut calculer le volume systolique (VS en cm3) par le produite entre la surface de section d'un conduit (en cm2) et l'intégrale des vélocités (ITV, en cm) à cet endroit:

        VS = S x ITV
        VS = (π r2) x ITV
        VS = (0.785 D2) x ITV (où D est le diamètre du conduit)

Il suffit de multiplier le résultat par la fréquence cardiaque pour obtenir le débit cardiaque. Comme la surface de la valve aortique n'a aucune raison de se modifier au cours d'une intervention de quelques heures, on peut se contenter de suivre les variations de l'ITV (valeur normale: 20-25 cm) pour connaître celles du VS. On peut procéder ainsi à travers la chambre de chasse gauche ou droite, à travers la valve aortique ou à travers la valve mitrale (Figure 25.250). Malheureusement, les techniques échocardiographiques sont beaucoup moins performantes que la thermodilution par le cathéter pulmonaire ou le système PiCCO pour le calcul du débit cardiaque. Les meilleurs résultats, obtenus au niveau de la valve aortique en considérant sa géométrie comme triangulaire, restent en-dehors de la limite d’agrément de 30% avec la thermodilution pulmonaire. Les mesures à travers les chambres de chasse, la valve mitrale, la valve pulmonaire et le volume ventriculaire par la règle de Simpson sont encore moins concordantes [2]. L’incertitude majeure vient de la difficulté à obtenir une mesure bidimensionnelle fiable de la cavité ou du vaisseau (coupe oblique, trabéculations, mouvements translationnels du coeur), et de la non-synchronicité des mesures de surface et de vélocités, qui doivent se faire dans des vues différentes mais strictement au même endroit. La nouvelle technologie tridimensionnelle en temps réel offre la possibilité de mesures plus fiables du volume ventriculaire, puisqu’elle délimite la totalité de l’endocarde, est indépendante de l’axe de mesure et ne nécessite pas le recours à des modèles géométriques approximatifs. Elle tend tout de même à sous-estimer le volume ventriculaire par rapport à l'IRM [7,8]. Elle permet certes de corriger des approximations comme l'assimilation de la chambre de chasse gauche à un cylindre circulaire alors qu'elle est de section ovale, mais la mesure 3D du débit cardiaque par le produit SurfaceCCVG x ITVCCVG conserve des limites d'agrément bien trop larges (± 2 L/min) pour que cette technique puisse être un substitut de la mesure par thermodilution pulmonaire [5].



Figure 25.250 : Calcul du débit cardiaque à l'ETO; exemple à travers la chambre de chasse du VG. Le diamètre de la CCVG est mesuré en vue long-axe du VG 0.5 cm en amont de la valve aortique (flèche verte) et en systole. Le flux est enregistré au Doppler pulsé au même endroit depuis une position transagstrique en vue long-axe 120° ou TG profonde 0°; l'enveloppe de la courbe donne l'intégrale des vélocités (ITV), dont la valeur normale est 20 cm.

 
ETO comme monitorage
L'échocardiographie fournit un cadre physiopathologique aux mesures effectuées par cathétérisme. Elle n'est toutefois pas un monitorage continu, mais ne fonctionne que lorsqu'un anesthésiste formé observe l'écran. Elle ne dispose d'aucun système pour alarmer en cas de déviance.

L'ETO n'est performante comme monitorage de l'ischémie que dans le cadre de lésions tronculaires qui produisent des altérations segmentaires de la contraction. Elle permet le suivi de lésions instables.

Par l'observation du volume des cavités cardiaques, l'ETO peut évaluer la volémie indépendamment de la compliance et des pressions de remplissage. L'analyse Doppler et l'équation de Bernoulli permettent de déterminer la pression dans une chambre si l'on connaît celle de l'autre lorsqu'une insuffisance valvulaire existe entre les deux.

L'ETO permet le calcul du volume systolique et du débit cardiaque par la formule: VS = S x ITV, où S est la surface de section du confuit et ITV l'intégrale des vélocités à cet endroit. L'imagerie 3D peut aussi calculer le VS par soustraction Vtd – Vts. Malheureusement, les limites d'agrément bien trop larges (± 2 L/min) pour que cette technique puisse être un substitut de la mesure par thermodilution pulmonaire.


© CHASSOT PG, BETTEX D. Mars 2011, Avril 2019; dernière mise à jour, Mars 2020


Références
 
  1. BENJAMIN E, GRIFFIN K, LEIBOWITZ AB, et al. Goal-directed transesophageal echocardiography performed by intensivists to assess left ventricular function: comparison with pulmonary artery catheterization. J Cardiothorac Vasc Anesth 1998; 12:10-15
  2. BETTEX DA, HINSELMANN V, HELLERMANN JP, JENNI R, SCHMID ER. Inaccuracy of cardiac output determination by transoesophageal echocardiography. Anaesthesia 2004; 59:1184-92
  3. CATENA E, MELE D. Role of ntraoperative tranesophageal echocardiography in patients undergoing noncardiac surgery. J Cardiovasc Med 2008; 9:993-1003
  4. COMMUNALE ME, BODY SC, LEY C, et al. The concordance of intraoperative left ventricular wall-motion abnormalities and electrocardiographic ST segment changes. Anesthesiology 1998; 88:945-54
  5. GRAESER K, ZEMTSOVSKI M, KOFOED KF, et al. Comparing methods for cardiac output: intraoperative Doppler-derived cardiac output measured with 3-dimensional echocardiography is not interchangeable with cardiac output by pulmonary catheter thermodilution. Anesth Analg 2018; 127:399-407
  6. GUARRACINO F, BERTINI P. Perioperative haemodynamic management: is echocardiography the right tool ? Curr Opin Crit Care 2014; 20:431-7
  7. MERIS A, SANTAMBROGIO L, CASSO G, et al. Intraoperative three-dimensional versus two-dimensional echocardiography for left ventricular assessment. Anesth Analg 2014; 118:711-20
  8. MOR-AVI V. Real-time 3-dimensional echocardiographic quantification of left ventricular volumes: multicenter study for validation with magnetic resonance imaging and investigation of sources of error. JACC Cardiovasc Imaging 2008; 1:413-23
  9. ROUINE-RAPP K, IONESCU P, BALEA M, et al. Detection of intraoperative segmental wall-motion abnormalities by transesophageal echocardiography. Anesth Analg 1996; 83:1141-8