18.1.6 Rupture traumatique

Une décélération brutale cisaille l'aorte aux endroits situés entre ses parties libres et ses portions fixées, c'est-à-dire au niveau des ostia coronaires (35 % des cas), à l'isthme juste après le départ de la sous-clavière gauche (50% des cas), et, rarement, à la jonction entre l'aorte ascendante et le tronc brachio-céphalique ou au hiatus diaphragmatique. Environ 20-30% des traumatismes thoraciques fermés autopsiés ont une rupture aortique [17,20]. Pour que la rupture ait lieu, il faut que le moment de la décélération maximale coïncide avec la télésystole ou la protodiastole d'un cycle cardiaque. A ce moment, en effet, le ventricule s’est vidé, alors que l'aorte ascendante et la crosse sont pleines du volume systolique. Ces dernières sont donc plus lourdes et sont projetées par leur masse cinétique dans la direction du mouvement; au contraire, le coeur vide et l'aorte descendante fixée à la colonne ont peu d'énergie cinétique et sont décélérés comme le reste de l'organisme. La lésion cause la mort de 15 % des traumatismes thoraciques fermés, pour une incidence de 0.5% des traumas thoraciques [16]. Elle est immédiatement fatale pour 85% des patients, notamment lorsque la déchirure a lieu à la racine de l'aorte, car l'hémorragie intrapéricardique cause une tamponnade foudroyante [10]. Chez les survivants, la déchirure isthmique (2 cm après le départ de la sous-clavière gauche) est de loin la plus fréquente (90 % des cas chirurgicaux). Ces rescapés ont une mortalité de 30% pendant les 6 premières heures, de 50% à 24 heures et de 90% dans les 4 mois [10]. Les lésions sont classées en quatre catégories: déchirure intimale (type I), hématome intramural (type II), pseudoanévrysme (type III) et rupture complète (type IV) (Figure 18.14A) [2]. Malheureusement, il n’existe aucun moyen de différencier les petites déchirures endothéliales bénignes de celles qui vont évoluer en quelques heures vers la dissection et la rupture [7]. Rien ne permet de prévoir l’évolution à partir des caractéristiques de la lésion aiguë. La rupture peut survenir en deux temps, parfois espacés de plusieurs semaines. Passé ce délai, elle peut évoluer vers le faux-anévrysme chronique, mais les risques de rupture persistent, même faibles. 
 

Figure 18.14A: Stades de lésion traumatique aortique. 1: minime déchirure intimale (flèche verte), hématome intrapariétal de < 1 cm d'épaisseur (flèche bleue). 2: la déchirure (flèche verte) et l'hématome (flèche bleue) mesurent > 1 cm. 3: pseudo-anévrysme; la structure de la paroi a disparu, seule l'adventice contient le volume sanguin de l'aorte (flèche blanche). 4: la paroi est rompue et le sang fuit vers l'extérieur (flèche jaune).
 
La triade diagnostique classique se retrouve dans plus de la moitié des cas: 
 
  • Hypertension dans les membres supérieurs ;
  • Diminution du pouls et de la pression dans les membres inférieurs ;
  • Elargissement médiastinal radiologique, épanchement pleural (en général gauche).
On rencontre également: douleurs rétrosternales ou interscapulaires, dysphagie, dyspnée, raucité de la voix, douleurs ischémiques des membres inférieurs. Les éléments prédicteurs d'une rupture aortique sont l'élargissement du médiastin, l'hypotension (PAsyst < 90 mmHg), la contusion pulmonaire, l'hémothorax, une fracture de l'omoplate gauche et une fracture pelvienne [15].
 
Les possibilités d’investigation sont limitées par le temps et par l'état critique du patient. Le CT-scan et l'ETO sont les examens de première ligne. Le CT-scan spiralé offre la meilleure définition de ce type de lésion; la reconstruction 3D est très précieuse pour le positionnement d'une endoprothèse [15]. Bien qu'il impose un déplacement du malade, le CT-scan est une recommandation de classe I [9]. L'innocuité de l'ETO, sa rapidité et son apport au diagnostic hémodynamique (volémie, fonction myocardique, tamponnade, lésion valvulaire, etc) en font l'examen de choix à réaliser en premier lieu dans les traumatismes thoraciques fermés graves [14]. La seule contre-indication est la fracture instable de la colonne cervicale, mais il est réalisable dans > 90% des cas. Dans le cas du traumatisme thoracique, sa sensibilité (95%) et sa spécificité (> 95%) sont supérieures à celles de l'arcographie, mais légèrement inférieures à celles du CT-scan (Vidéos et Figure 18.14B) [5]. 


Vidéo: Vue court-axe de l'aorte descendante au niveau de l'isthme; présence d'une petite déchirure intimale à 8 heures.


Vidéo: Au flux couleur, on voit apparaître des tourbillons au niveau de la lésion, alors que le flux est toujours laminaire dans l'aorte (même cas que la vidéo précédente).
 

Figure 18.14B : Images ETO de rupture traumatique de l'aorte isthmique. 1 : coupe transverse de l'aorte au niveau du départ de l'artère sous-clavière gauche. Une rupture pariétale est visible sur la gauche de l'écran; la flèche indique le faux-anévrysme créé par la rupture. 2 : coupe transverse de l’isthme aortique avec présence d’une déchirure pariétale (FL: fausse lumière). 3: coupe longitudinale de l'aorte descendante; une fine déchirure intimale est bien visible (flèche).
 
L’IRM est très difficile, voire impossible, dans les conditions d'un malade choqué, multiperfusé et ventilé. L'aortographie n’est indiquée que s'il est nécessaire de visualiser les axes vasculaires (carotides ou coronaires). La probabilité de trouver une rupture aortique à l'arcographie en cas d'élargissement traumatique du médiastin ne dépasse pas 15% [8]. Un signe pathognomonique à la radiographie du thorax est le déplacement de la sonde gastrique par l’hématome.
 
Le traitement comporte une prise en charge médicale (béta-bloqueur, hypotenseur, réanimation) et un volet chirurgical d'urgence [9,19,20].
 
  • Aorte ascendante: remplacement en CEC le plus rapidement possible;
  • Aorte descendante et isthme: endoprothèse d'urgence ou après stabilisation; remplacement chirurgical si l'endoprothèse est inadaptée;
  • Lésion de degré I (rupture intimale de < 1 cm): traitement médical, chirurgie secondairement si la lésion progresse;
  • Lésions associées: en cas de grave polytraumatisme, elles peuvent obliger à temporiser dans l'indication chirurgicale; la mortalité est très élevée (≥ 35%).
Les petites lésions intimales qui maintiennent l'intégrité de la paroi (degré I) peuvent être observées et traitées médicalement, car 85% d'entre elles se résolvent spontanément [19]. Elles sont opérées secondairement en cas d'évolution anormale. Les lésions de l'aorte ascendante réclament une intervention chirurgicale immédiate en CEC par sternotomie et canulation fémorale ou sous-clavière, afin de remplacer l'aorte ascendante par un greffon tubulaire. En cas d'insuffisance aortique associée (25% des cas), l'opération s'accompagne d'un remplacement valvulaire (opération de Bentall). La mortalité opératoire est de 12-20%; elle est en partie liée aux lésions associées [20].
 
La réparation chirurgicale d’une rupture de l’isthme aortique consiste traditionnellement en une résection de la zone contuse et réanastomose avec ou sans interposition d’une prothèse tubulaire. L’opération a lieu par thoracotomie gauche, nécessite un tube à 2-lumières, saigne beaucoup et comporte un risque de paraplégie proportionnel à la durée du clampage et à la longueur de la prothèse. La mortalité opératoire voisine 15-20%, le taux de paraplégie 8-15% et celui d'insuffisance rénale 27% [4,7,12,13]. La mise en place d'un système de perfusion distale pendant le clampage a permis de diminuer la mortalité à 12% et le taux de paraplégie à 3% [6]. Mais c'est l’avènement des techniques endovasculaires qui a modifié radicalement la prise en charge initiale. En effet, la mise en place d’une endoprothèse en urgence évite la thoracotomie, l’exclusion pulmonaire, le clampage aortique et l’héparinisation. La mortalité et le taux de paraplégie sont presque la moitié de ceux enregistrés avec l'intervention à ciel ouvert (9% et 2-3%, respectivement) [1,16]. Bien que l’ancrage proximal de la prothèse recouvre fréquemment l’origine de la sous-clavière gauche [3,7], la voie endovasculaire est préférable à la voie à ciel ouvert lorsque l'anatomie est favorable [9]. Les données disponibles indiquent que, si l’anatomie est favorable, l'endoprothèse devrait être le traitement privilégié. Dans une revue de 139 études (7'768 patients), la majorité étant des séries de cas non comparatifs et aucune n'étant un essai randomisé, la mortalité est significativement plus faible pour l'endoprothèse par rapport à la chirurgie ouverte (9 contre 19%; P <0,01); le taux d'endofuite s'élève jusqu'à 5,2% (voir Endoprothèses de l’aorte thoracique) [10]. Bien qu'on manque de recul pour connaître les résultats à long terme des interventions endovasculaires chez les patients jeunes, l'endoprothèse est maintenant la technique de choix pour les lésions traumatiques de l'aorte descendante [9].
 
 
Rupture traumatique (traumatisme thoracique fermé)
La rupture survient aux endroits de cisaillement en cas de décélération : racine de l’aorte, isthme. Mortalité : 30% à 6 heures, 50% à 24 heures. Symptômes : douleurs, compression, hypotension aux membres inférieurs.
Examens d’urgence : CT-scan, ETO.
Traitement chirurgical d’emblée : 
    - Aorte ascendante: chirurgie par sternotomie et remplacement de l'aorte par un tube (± RVA)
    - Aorte descendante: endoprothèse par voie percutanée de préférence, remplacement aortique par thoracotomie gauche si l'anatomie n'est pas
      favorable à l'endoprothèse
 
 
©  CHASSOT PG, TOZZI P, BETTEX D, Octobre 2010, Dernière mise à jour, Avril 2018
 
 
Références
 
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