14.6.3 Retours veineux anormaux

Retour veineux pulmonaire anormal total (RVPA total)

Suite à une mauvaise connexion embryologique avec l'OG, toutes les veines pulmonaires se drainent directement ou indirectement dans l’OD (shunt G-D) selon quatre modalités principales (Figure 14.33) [3].

 

Figure 14.33 : Schéma du retour veineux pulmonaire anormal total. A : type supracardiaque, dans la veine inominée (VI) par une veine verticale (VV). B : type cardiaque, par le sinus coronaire (SC). C : type infracardiaque, transdiaphragmatique dans la veine porte (VP) par une veine descendante (VD). D : type mixte. Dans les trois premiers cas, un collecteur postérieur (CP) draine le sang veineux des deux poumons dans un système situé en arrière des oreillettes.
 
  • Type supracardiaque : le collecteur postérieur (CP), qui draine le sang veineux des deux poumons dans un système situé en arrière des oreillettes, est connecté au réseau cave supérieure (veine innominée, veine azygos ou VCS) par une veine verticale (45% des cas).
  • Type cardiaque : le CP se draine dans l’OD par le sinus coronaire (25% des cas).
  • Type infracardiaque : le CP se draine par voie transdiaphragmatique dans le système porte par une veine descendante fréquemment sténotique (25% des cas).
  • Type mixte : les veines pulmonaires sont abouchées directement dans l’OD à droite et dans le veine innominée à gauche (5%). 
Ces systèmes de retour veineux sont le plus souvent insuffisants, sténotiques ou comprimés par le voisinage. Lors de RVPA total bloqué, une CIA obligatoire permet le mélange des sang veineux et artérialisés, et alimente l’OG et la circulation systémique (shunt D-G) ; celle-ci reçoit donc du sang mêlé. La clinique est dominée par l’importance de l’obstruction au retour veineux que représente cette curieuse anatomie. Le diagnostic est difficile à la naissance, car le tableau clinique (détresse respiratoire, acidose et défaillance multiorganique) est évocateur d’une affection pulmonaire ou d’une infection. Lorsque l’obstruction est sévère, les nouveaux-nés présentent une cyanose réfractaire (SpO2 < 75%) et une hypertension veineuse pulmonaire (HTP postcapillaire) dès les premiers jours de vie. L'oedème pulmonaire est fréquent et le NO est contre-indiqué. L’OD et le VD sont très dilatés, alors que l’OG et le VG sont de petite taille. Même si les RAP restent peu élevées, le flux puolmonaire total est très élevé (Qp:Qs 2-3:1). Le débit systémique dépend largement du canal artériel, dont le flux est assuré par le VD déjà surchargé [6].
 
Le RVPA total bloqué est la seule véritable urgence en chirurgie cardiaque néonatale. Une correction chirurgicale s’impose dans les premières heures de vie : en CEC et sous hypothermie profonde, on abouche le collecteur pulmonaire directement dans l’OG, on occlut la connexion anormale, et on ferme la CIA. Si la CIA est restrictive, on peut l’élargir en préopératoire par septostomie au ballon (intervention de Rashkind) pour permettre la survie immédiate du bébé. En l’absence d’obstruction au retour veineux, la correction chirurgicale peut être retardée jusqu’à 6-8 semaines. La mortalité opératoire est de 8-13% [2]. En préopératoire, il peut être nécessaire de stabiliser l’hémodynamique et la ventilation du nouveau-né : inotropes (dobutamine, adrénaline-milrinone), diurétique, intubation, ventilation assistée, prostaglandines, etc. Lorsque le flux pulmonaire est excessif, la ventilation cherche à augmenter les RAP par hypercapnie.

L’anesthésie est conduite sous opiacés (Fentanyl 50-100 mcg/kg, sufentanil 2.5-10 mcg/kg), adjonction de midazolam, éventuellement etomidate pour l’induction. Les halogénés ne sont pas supportés par le cœur nouveau-né anormal et défaillant, qui a souvent besoin d’un soutien inotrope déjà en préopératoire. L’échocardiographie transoesophagienne doit être utilisée avec beaucoup de précaution; elle est même parfois impossible car la sonde comprime le retour veineux pulmonaire qui croise l’OG postérieurement. Dans ce cas, on peut procéder à une échocardiographie épicardique [6].  
 
La sortie de CEC est marquée par trois phénomènes sévères [2].
 
  • Poussée hypertensive pulmonaire (50% des cas); prévoir NO, hyperventilation, FiO2 1.0, magnésium, PGE1. L’HTP est liée à l’accroissement soudain du flux pulmonaire, à l'hyper-réactivité des RAP, à l’insuffisance congestive du VG et/ou à une sténose résiduelle sur le retour veineux pulmonaire; elle entraîne une insuffisance du VD. La ventilation oscillatoire à haute fréquence est souvent très bénéfique [4].
  • Surcharge du VG jusque-là hypofonctionnel et hypoplasique; agents inotropes (dobutamine, adrénaline) et inodilatateur (milrinone), ECMO en cas de dysfonction réfractaire. Il faut très souvent retarder la fermeture sternale.
  • Troubles du rythme supraventriculaires dans 5-20% des cas.
Les épisodes de désaturation artérielle sont expliqués par plusieurs éléments: crise hypertensive pulmonaire, OAP, bas débit cardiaque, persistance de la CIA, drainage du sinus coronaire dans l’OG. La situation peut également se compliquer d’une obstruction veineuse pulmonaire résiduelle (sténose du collecteur) qui aggrave l’hémodynamique. A l’échocardiographie post-CEC, un gradient ≥ 1.8 m/s et un flux monophasique sur le collecteur signent une obstruction. La sanction thérapeutique dépend de la clinique et de l’importance de l’HTAP. Bien qu’une ECMO soit fréquemment requise lors d’intervention en urgence, la survie de ces bébés dépasse 90% [5].
 
Retour veineux pulmonaire anormal partiel  (RVPA partiel)

Une ou plusieurs veines pulmonaires, en général droites, peuvent avoir un trajet aberrant vers l'OD au lieu de s'aboucher normalement dans l'OG. Il s'agit le plus souvent d'une veine pulmonaire supérieure droite qui se connecte à la racine de la VCS dans l'OD (Figure 14.34); cette anomalie est fréquemment associée à une CIA de type sinus venosus (voir Figure 15.11C).  
 

Figure 14.34 : Retour veineux pulmonaire anormal partiel. La veine pulmonaire supérieure droite (VPSD) se jette dans la veine cave supérieure (VCS) juste au dessus de son abouchement dans l’OD. APD: artère pulmonaire droite (vue court-axe de l’aorte ascendante 0° avec rotation horaire de la sonde).
 
La veine pulmonaire inférieure droite peut se drainer dans la veine cave inférieure (scimitar syndrom), et les veines pulmonaires gauches dans la veine innominée ou le sinus coronaire. Le RVPAP entraîne une surcharge droite avec dilatation de l'OD et du VD; le septum interauriculaire est rarement intact.
 
L’indication opératoire est posée lorsque le Qp/Qs est > 2 et lorsque le VD est dilaté, ou lors de compression du voisinage et d’infections pulmonaires à répétition. Le traitement est une réimplantation de la veine pulmonaire aberrante dans l'OG. La correction chirurgicale du retour veineux pulmonaire anormal couplé à une CIA de type sinus venosus consiste à construire un patch à l'intérieur de l'abouchement de la VCS dans l'OD de manière à ce qu'il dévie le sang artérialisé dans l'OG au travers de la CIA (opération de Warden) [1]. L’anesthésie est conduite comme pour une fermeture de CIA. En postopératoire, le flux doit présenter la morphologie biphasique systolo-diastolique des flux veineux centraux à l'échocardiographie. La vélocité maximale doit rester en dessous de 1.0-1.5 m/s. Un flux continu non-oscillant avec une Vmax > 1.5 m/s indique une restriction prohibitive et commande une révision chirurgicale.

Syndrome du cimeterre

Le retour veineux pulmonaire droit anormal dans la veine cave inférieure est associé à une hypoplasie du poumon droit dont les segments inférieurs reçoivent du sang artériel de collatérales de l'aorte thoraco-abdominale (séquestration pulmonaire). Ce syndrome doit son nom à la ressemblance de la radiographie thoracique avec le sabre oriental à lame large et recourbée.
 
Veine cave supérieure gauche
 
Il n'est pas exceptionnel de découvrir une veine cave supérieure gauche (VCSG) à l'examen ETO peropératoire; elle existe dans 0.3-5‰ de la population et dans 10% des enfants avec cardiopathie congénitale [7]. Elle se draine généralement dans le sinus coronaire, qui est très élargi (Vidéo et Figure 14.35).


Vidéo: Dilatation majeure du sinus coronaire, qui apparaît comme un tube vertical en haut de l'écran (voir ci-après Figure 14.35).

La veine cave supérieure droite (VCSD) peut être présente, hypoplasique ou absente. Avant la CEC, la VCSG est soit liée si elle est petite, soit canulée si elle est de gros calibre, car elle provoque un flux constant dans l’OD et empêche la cardioplégie rétrograde d’atteindre le myocarde.
 

Figure 14.35 : Veine cave supérieure gauche (VCSG). A : dilatation du sinus coronaire (SC) (≥ 1.5 cm). B : vue échocardiographique transoesophagienne avec injection de microbulles dans une veine du membre supérieur gauche ; elles apparaissent dans le sinus coronaire avant d’arriver dans l’OD (flèche).
 
Bien qu’elle n’ait pas de conséquence hémodynamique, la VCS gauche comporte des risques en cas d’intervention chirurgicale.  
 
  • Risque thrombo-embolique lié à un cathéter veineux central, qui pourrait occasionner une thrombose du sinus coronaire; un cathéter placé en jugulaire ou sous-clavière gauche doit être retiré dès que possible. Si la VCS droite est hypoplasique, un cathéter droit peut être quasi-occlusif et doit également être enlevé au plus vite.
  • Problème de canulation veineuse lors de CEC: la VCSG doit être drainée, ou exclue si la VCSD est de bon calibre.
  • En cas de cardioplégie rétrograde, le perfusat fuit dans la VCS et ne perfuse pas le coeur.
  • Fréquence des blocs AV associés. 
  • En cas de drainage dans l’OG : CIA de type sinus coronaire.
  • La voie droite est privilégiée pour une pose de pace-maker.
 
 Retour veineux anormal
Retour veineux pulmonaire anormal total (RVPA): shunt G-D massif à cause du retour des veines pulmonaires dans l’OD, selon plusieurs variantes anatomiques. Urgence néonatale en cas d’obstruction du collecteur pulmonaire. Prise en charge (déjà en préopératoire) :
    - Maximaliser le DO2 avec ventilation mécanique et FiO2 élevée 
     - Baisser les RAP par hyperventilation, NO, prostaglandines, alcalose, pas de vasodilatateur pulmonaire si sténose du collecteur
    - Soutien inotrope (dobutamine, adrénaline-milrinone)
    - Eventuellement ECMO 
 
Complications après correction de RVPA total en CEC : 
    - HTAP 
    - Insuffisance du VD (surcharge)
    - Insuffisance congestive du VG hypoplasique
    - Arythmies supraventriculaires 
 
RVPA partiel: veine pulmonaire droite drainée à la jonction de la VCS et de l'OD, souvent associée à une CIA de type sinus venosus.
 
Veine cave supérieure gauche: se draine dans le sinus coronaire qui est élargi
 
 
© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai 2018
 
 
Références
 
  1. AGGARWAL N, GADHINGLAJKAR S, SREEDHAR R, et al. Warden repair for superior sinus venosus atrial septal defect and     anomalous pulmonary venous drainage in children: anesthesia and transesophageal echocardiography perspectives. Ann Card     Anaesth 2016; 19:293-9    
  2. BENT ST. Anesthesia for left-to-right shunt lesions. In : ANDROPOULOS DA, et al, eds. Anesthesia for congenital heart disease. Oxford: Blackwell-Futura, 2005, 297-327
  3. BETTEX D, CHASSOT PG. Transesophageal echocardiography in congenital heart disease. In: BISSONNETTE B, edit. Pediatric anesthesia. Basic principles, State of the art, Future. Shelton (CO): People’s Medical Publishing House (USA), 2011, 1186-1212
  4. BOJAN M, GIOANNI S, MAURAT P, POUARD P. High-frequency oscillatory ventilation and short-term outcome in neonates and infants undergoing cardiac surgery : a propensity score analysis. Crit Care 2011 ; 15 :R259
  5. HONJO O, Van ARSDELL GS. Cardiovascular procedures : surgical considerations. In : BISSONNETTE B, edit. Pediatric anesthesia. Basic principles, State of the art, Future. Shelton (CO): People’s Medical Publishing House (USA), 2011, 1589-608
  6. NASR VG, DINARDO JA. The pediatric cardiac anesthesia handbook. Oxford: Wiley-Blackwell, 2017; 107-11
  7. STÜMPER O. Normal and anomaélous venous connections to the heart. In : STÜMPER O, SUTHERLAND GR. Transesophageal echocardiography in congenital heart disease. London, Edward Arnold, 1994, 34-45