Le contact du sang avec l’air et avec les surfaces étrangères (tuyaux, membranes, etc) oblige à une anticoagulation profonde pour éviter tout risque de thrombose du circuit (voir Aspects hématologiques). Parmi les nombreux anticoagulants en usage clinique (Tableau 7.1 et Tableau 7.2), seule l’héparine non-fractionnée (HNF) est utilisée de routine en CEC. Elle fait partie intégrante de son fonctionnement. Pour davantage de détails sur la coagulation et l’hémostase en chirurgie cardiaque, le lecteur pourra se référer au Chapitre 8 (Coagulation & hémostase).
L’héparine
L’héparine non-fractionnée (HNF) est un glycosaminoglycane (poids moléculaire 12’000-30'000) qui se lie à l’antithrombine III (AT III) et accélère la capacité de cette dernière à inhiber les facteurs IIa (thrombine), IXa et Xa. Sans héparine, la thrombine et le Xa sont inhibés par l’AT III avec une demi-vie d’environ 1 minute. En présence d’héparine, cette réaction est potentialisée 2’000 fois. L'AT III est également dotée de propriétés anti-inflammatoires indirectes en agissant sur la production de prostaglandines. La consommation importante d'AT III au cours de l'héparinisation peut activer les cellules de la lignée blanche et contribuer à la cascade inflammatoire post-CEC [30]. A forte dose, l'héparine se lie aux plaquettes et a un effet inhibiteur sur celles-ci [35].
L’action de l’héparine sur l’AT III est double. La liaison avec le fragment de haute affinité de l’héparine induit un changement de configuration de l'AT III qui augmente sensiblement son affinité pour les facteurs de coagulation. Le fragment de faible affinité sert à rapprocher le facteur du site d’action de l’AT III. Une fois que l’AT III s’est fixée sur le facteur, un changement de conformation diminue l’affinité pour l’héparine, qui est libérée et peut se lier à une autre molécule d’AT III (Figure 7.19A) [41].
Figure 7.19A : Mécanisme d’action de l’héparine non fractionnée. Après la liaison avec son fragment de haute affinité pour l’AT III (fragment jaune), l’héparine induit un changement de conformation au niveau du site d’action de l’AT III, qui augmente sensiblement son affinité pour les facteurs IIa (thrombine) et Xa. Le fragment de basse affinité de la chaîne d’héparine (en violet) sert à rapprocher le facteur IIa du site d’action de l’AT III; ce mécanisme n’est pas requis pour la fixation du facteur Xa. Une fois que l’AT III s’est fixée sur les facteurs IIa et Xa, un changement de conformation diminue l’affinité pour l’héparine, qui est libérée et peut se lier à une autre molécule d’AT III (flèche pointillée blanche).
Ces deux mécanismes différents expliquent les actions plus ou moins sélectives des différents dérivés de l’héparine. L’HNF a un rapport d’activité anti-Xa:anti-IIa de 1:1. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM, PM 2’000-10'000) ont un rapport anti-Xa:anti-IIa de 2-4:1 et le pentasaccharide fondaparinux inhibe sélectivement le facteur Xa. Pour que l’AT III désactive la thrombine, les deux mécanismes, changement de conformation et rapprochement, sont aussi importants l’un que l’autre. Pour désactiver le Xa, par contre, le rapprochement ne joue pas de rôle. Les HBPM peuvent, avec leur segment de haute affinité, induire le changement de configuration nécessaire, mais leur chaîne est trop courte pour bien affronter la thrombine, ce qui explique leur action plus faible contre celle-ci. Le fondaparinux correspond à la séquence du segment de haute affinité qui est la longueur de chaîne minimale requise pour induire le changement de conformation, sans n'avoir aucune capacité de rapprochement. Donc, incapable d’inhiber le IIa, il inhibe sélectivement le facteur Xa [12].
L’HNF, les HBPM et le fondaparinux sont mal absorbés par voie orale et doivent être administrés par voie parentérale. Par voie intraveineuse, l’HNF a une action immédiate, alors que les dérivés ont un delai d’action de 20 à 60 minutes. L’effet anticoagulant de l’HNF est très variable à cause d’une forte liaison aux protéines et à l’endothélium [24]. Les HBPM et le fondaparinux sont beaucoup moins liés et montrent un profil d’action plus prévisible. A cause de la variation interindividuelle de son effet, l’HNF requiert un monitorage constant. Son activité anticoagulante est bien corrélée à l’aPTT et à l’ACT (activated clotting time). Les dérivés plus courts n’ont pas d’effet prévisible sur ce paramètre et sont donc plus difficiles à monitorer, mais leur surveillance n’est pas nécessaire parce que leur profil pharmacocinétique est plus stable.
L’HNF est résorbée et métabolisée par l’endothélium et le système réticulo-endothélial. Les métabolites sont inactifs et sont éliminés par voie rénale. La demi-vie biologique est fonction de la dose administrée : 1 heure à la dose de 100 U/kg et 2.5 heures à la dose de 400 U/kg [7]. L’hypothermie ralentit considérablement la clairance de l’héparine. Mais une des limitations majeures de l’HNF est son incapacité à inhiber la thrombine liée à la fibrine dans un thrombus. En effet, la thrombine située dans les microthrombi formés sur les surfaces de la CEC est hors d'atteinte de l'héparine. Des inhibiteurs directs de la thrombine (lépirudine, bivalirudine, argatroban) ont été développés pour mieux inhiber la thrombine intégrée dans le thrombus, mais leur application en clinique de routine est limitée par leur courte demi-vie (30-60 minutes) et par leur absence d’antagoniste. Les HBPM et le fundaparinux, qui ne peuvent pas non plus être antagonisés, n’ont pas suffisamment d’activité anti-IIa pour être utiles en CEC.
Héparine et CEC
L’HNF est indispensable au le bon déroulement d’une CEC; elle en est l'anticoagulant de base. C’est la raison pour laquelle elle est injectée par voie centrale après avoir contrôlé le reflux sanguin, ou adminsistrée directement dans l’OD par le chirurgien; l’injection est suivie d'un rinçage pour être sûr que la totalité de la dose soit injectée. L'ACT de contrôle est mesurée 3-5 minutes plus tard. La dose de charge d’héparine pour obtenir une anticoagulation adéquate pour une CEC (ACT ≥ 480 secondes) est habituellement de 300-400 UI/kg, mais des doses plus faibles peuvent parfois suffire pour atteindre l'ACT désiré. Un ACT > 480 secondes est requis avec les circuits standard non bio-compatibles et utilisation d'une aspiration de cardiotomie. La concentration d'héparine circulante recherchée est de 2-4 UI/mL. Pour déterminer la dose requise chez un patient donné, il suffit de construire sa courbe dose-réponse obtenue avec 2 déterminations de l'ACT: la valeur de base et la valeur après mélange du sang in vitro avec une concentration connue d'héparine (Figure 7.19B) [7].
Figure 7.19B : Courbe dose-réponse de l'héparine, construite à partir d'un minimum de 2 points. 1: valeur de base de l'ACT avant l'injection de l'héparine. 2: valeur de l'ACT après mélange avec une concentration donnée d'héparine (Civ: concentration in vitro). L'extrapolation de la courbe permet de déterminer la quantité d'héparine (Cc: concentration cible) dont le patient a besoin pour atteindre un ACT de 480 secondes (ACTc: ACT cible). La dose de charge est calculée à partir de la Cc en référence au volume circulant estimé du malade [7].
Le dosage de l'héparinémie est préférable au test de l'ACT pour régler l'administration de l'héparine [3]. Par voie intraveineuse, l’HNF a une action immédiate. Pour compenser l'effet de l'hémodilution, on ajoute 5'000-10'000 UI dans le liquide d'amorçage de la CEC. Ces deux doses sont en général suffisantes pour une CEC de 60-90 minutes. Ensuite, les doses supplémentaires (50-100 UI/kg toutes les 30-120 min) doivent être titrées selon la réponse individuelle du patient à l’héparine [35]. L’HNF est l’inhibiteur de thrombine le plus utilisé en CEC à cause de sa facilité d’administration, de sa réversibilité par la protamine, et de la possibilité de mesurer son activité avec des tests de coagulation.
L'héparine en forte concentration (≥ 300 UI/kg) induit une libération de lipoprotéine-lipase et de lipase hépatique, ce qui hydrolyse les triglycérides plasmatiques en acides gras non-estérifiés (FFA: free fatty acids), dont le taux s’élève de 15-20%. Ces acides gras libres se lient aux protéines plasmatiques et déplacent les substances qui y sont fixées, ce qui augmente la concentration libre de ces dermières, donc leur activité pharmacologique. Ce processus a lieu en quelques minutes [31].
L’activité de l’héparine est habituellement mesurée par l'ACT dont la valeur normale est située entre 80 et 120 secondes. L’ACT minimal nécessaire pour éviter des problèmes thrombotique ou hémorragique pendant une CEC est toujours discutée, mais une valeur > 400 secondes est généralement acceptée comme référence pour les circuits standards (480-500 secondes), et une valeur de ≥ 300 secondes pour les assistances avec circuits pré-héparinés [21,34]. Si l'ACT est < 400 secondes, on ne commence pas la CEC sans ajouter une dose supplémentaire d'héparine (5'000 – 10'000 UI) ; on procède à un nouveau contrôle après 3 minutes [13]. Deux tests d'ACT sont pratiqués avant de commencer la CEC: avant l'injection d'héparine (valeur normale du patient), et 3-4 minutes après l'administration du bolus d'héparine [34].
Résistance à l'héparine
Un allongement insuffisant de l’ACT après une dose habituelle d’HNF (< 450 secondes pour 500 U/kg) révèle une résistance du patient à l’héparine liée à un déficit en antithrombine (activité AT III < 60%). Plusieurs phénomènes expliquent cette réponse insuffisante [7,8].
- Déficience congénitale en AT III (incidence 1:3'000); le taux d’AT III est abaissé de 40-60%.
- Consommation de l’AT III par une héparinothérapie en cours; la chute de l’antithrombine est de 5-10% par jour. Un traitement préopératoire avec de l’héparine pendant plusieurs jours en est la cause la plus fréquente.
- Hémodilution; le taux d’AT plasmatique peut diminuer de 30%.
- Baisse de production d’AT III en cas d’insuffisance hépatique, de malnutrition ou de syndrome néphrotique.
- Consommation accrue d’AT III en cas de sepsis, de CIVD, d’embolie pulmonaire ou d’assistance circulatoire mécanique.
- Thrombocytose; comme l'héparine se lie aux plaquettes, un excès de ces dernières diminue la quantité susceptible d'activer l'AT III.
La prise en charge est basée sur trois éléments.
- Augmentation des doses d’héparine. Toutefois, il existe un effet-plafond: l’anticoagulation ne s’approfondit plus lorsque l’héparinémie est > 4 U/mL [22].
- Concentré d’antithrombine, sous forme humaine purifiée ou recombinante. La dose recommandée est 500-1'000 UI pour un adulte [42], ce qui est relativement modeste, car il faut jusqu’à 45 U/kg pour maintenir un taux d’AT III normal [4]. Le coût de ce traitement est de CHF 1’200-2’500.-, mais il est bien plus efficace que le PFC.
- Plasma frais décongelé. Le PFC contient environ 1 U d’AT III par mL. Deux poches de PFC suffisent rarement à compenser le manque en AT III [5]. L’administration d’une quantité suffisante pour normaliser l’AT III (1-2 L) fait courir le danger d’une hypervolémie. D’autre part, le PFC présente tous les risques infectieux et allergiques liés aux transfusions d’éléments sanguins.
L’attitude la plus logique est de doser l’activité AT III (cible ≥ 80%) et de ne donner du concentré d’antithrombine que lorsque le taux est bas; s’il est normal, une augmentation du dosage d’héparine suffit en général [7].
Alternatives à l’héparine
Chez les malades qui présentent une thombocytopénie induite par l’héparine (TIH ou HIT heparin-induced thrompenia), il est possible de procéder à une CEC sous d’autres anticoagulants s'il n'est pas possible de reporter l'intervention jusqu'à la négativation des anticorps anti-héparine-PF4 (voir Chapitre 8 HIT). Ces substances sont des bloqueurs directs de la thrombine, qui inhibent aussi bien la thrombine circulante que la thrombine liée à la fibrine, alors que l'héparine n'a pas d'impact sur cette dernière. Toutefois, ils n’ont pas d’antagoniste, et ne sont pas renversés par la protamine. Leur élimnination dépend de leur demi-vie sérique (Tableaux 7.1 et 7.2) et de l’utilisation d’un circuit d’hémofiltration [1,4,8,15,18,35].
- Bivalirudine (Angiox®, Angiomax®): inhibiteur réversible direct de la thrombine. Début de l'activité en 2-10 minutes; demi-vie: 25 min min (doublée en cas d'insuffisance rénale); élimination rénale. Le plus facile à manipuler pour la CEC, mais avec un risque de thrombose dans le réservoir, dans l’oxygénateur ou dans les pontages coronariens si le débit de la machine est interrompu, car l’élimination de la bivalirudine par protéolyse plasmatique continue dans le sang immobilisé. Il faut donc prévoir des circuits biocompatibles, des shunts artério-veineux, un CellSaver™ sur la récupération du sang, un rinçage intermittent du réservoir veineux et un stockage du sang dans des poches citratées. La bivalirudine augmente linéairement l'ACT, le TP, le PTT et le TT; le test le plus fiable est le temps d'écarine (ECT, ecarin clotting time), mais il n'est pas réalisable dans tous les laboratoires. Dosage: bolus 1 mg/kg + 50 mg dans le liquide d’amorçage de la CEC + perfusion 2.5 mg/kg/h. On vise un ACT ≥ 450 sec au moyen de bolus additionnels de 0.1-0.5 mg/kg [17]. L'ECT recherché est 400-500 sec, correspondant à un taux sérique de 10-15 mcg/mL [18,33]. La perfusion est arrêtée 10-15 minutes avant la fin de la CEC. L’ultrafiltration n’est utilisée qu’après la CEC pour acccélérer l’élimination de la bivalirudine. Un retour en pompe est impossible après sevrage à cause du risque de thrombose du circuit.
- Argatroban (Argatroban Injection®): molécule synthétique qui se lie sélectivement et réversiblement à la thrombine. Demi-vie: 40-50 minutes; élimination hépatique. Dosage: bolus 0.1-0.2 mg/kg iv + 0.05 mg/kg dans le liquide d’amorçage de la CEC + perfusion 5-10 mcg/kg/min (immédiate et continue) pour ACT > 400 sec et aPTT 3 fois la valeur de base; bolus supplémentaires si nécessaire: 2 mg. Cependant, la corrélation entre les taux sériques et l'ACT est inconstante. Retour à une coagulation normale 2-4 heures après l’arrêt de la perfusion. L’argatroban est le médicament de choix en cas de dysfonction rénale.
- Danaparoïde sodique (Orgaran®): inhibition prédominante du facteur Xa. Demi-vie de 7 heures pour l’activité anti-IIa et de 25 heures pour l’activité anti-Xa; élimination rénale. Dosage: bolus iv 1’500-2'000 U + 5’000-10'000 U dans le liquide d’amorçage de la CEC; ajout de 1'500 U après 2 heures. Très difficile à gérer en CEC et très hémorragipare dans le postopératoire; pratiquement abandonné.
- Lépirudine (Refludan®): forme recombinante de l’hirudine, inhibiteur irréversible de la thrombine. Demi-vie sérique de 10 min, demi-vie d’élimination 1-1.5 heure, mais inhibition irréversible de la thrombine; élimination rénale. La meilleure surveillance est l’ECT (temps de coagulation par l’écarine du sang total citraté). Dosage: bolus 0.25 mg/kg + 0.2 mg/kg dans le liquide d’amorçage de la CEC + bolus 5 mg pour ACT > 350 sec (imprécis); perfusion 0.15 mg/kg/h. La production de lépirudine a cessé en 2012 pour des motifs commerciaux.
- Désirudine (Iprivask®): molécule très voisine de la lépirudine utilisée pour les interventions coronariennes percutanées. Aucune expérience pour la CEC.
Un autre attitude consiste à anticoaguler les patients avec de l'héparine, et à bloquer parallèlement l'agrégation plaquettaire induite par l'action des anticorps IgG préformés sur les complexes PF4-héparine au moyen d'un antiplaquettaire de courte durée d’action. Bien que réagissant encore à l'héparine, les patients ne courent plus un risque excessif de thrombo-embolie et de thrombopénie [27].
- Héparine (dose habituelle) + prostacycline (Iloprost®) : augmentation de l’AMPc intraplaquettaire et inhibition de l’activation. Demi-vie 15-30 min. Perfusion de 3-12 ng/kg/min (moy 7.6 ng/kg/min), réglée selon le test HIPA (Heparin-induced platelet aggregation) pour une activation < 5% [2]. La perfusion est diminuée de moitié après la protamine et réduite au quart à l'arrivée aux soins intensifs; elle est stoppée 1 heure plus tard [27]. Inconvénients: l'iloprost provoque une hypotension (réglée par noradrénaline), et les tests HIPA peropératoires prennent du temps (30-40 minutes).
- Héparine (bolus 5'000 UI et perfusion 1'000 UI/h) + tirofiban (Aggrastat®) : bloqueur du récepteur GP IIb/IIIa des plaquettes, responsable de la liaison de celles-ci avec le fibrinogène (voir Figures 8.12 et 8.13). Demi-vie : 2 heures. Bolus 0.4 mcg/kg, puis perfusion 0.15 mcg/kg/heure. Arrêt 1 heure avant la fin de la CEC [19].
Protamine
La protamine, originellement extraite du sperme de saumon, est aujourd’hui produite par technologie recombinante. C’est une molécule polycationique chargée positivement qui forme des complexes stables avec l'héparine, qui est chargée négativement. La demi-vie plasmatique de la protamine est de 7 minutes, alors que celle de l’héparine est de 60-120 minutes [8]. Un mg de protamine (100 UI) neutralise 1 mg d'héparine (100 UI). Habituellement, on administre une dose de protamine correspondant aux 80% de la dose d'héparine, mais un dosage basé sur l’héparinémie réelle du patient ou sur sa courbe dose-réponse (systèmes Hepcon™ ou HMS™) conduit à donner des quantités moindres et réduit de ce fait la dysfonction plaquettaire, l'hémorragie et le risque de transfusions après CEC [34,39]. Un ACT fait 5 minutes après la fin de l’administration de protamine doit être dans une limite de ± 10% par rapport à la valeur de départ avant CEC.
La protamine présente plusieurs effets secondaires immédiats, dont l’incidence varie de 1 à 13% des cas (moyenne 2.6%) [16,23].
- Libération d'histamine, qui se caractérise par une vasodilatation importante avec baisse de précharge et de postcharge; elle est directement proportionnelle à la vitesse d'administration (réaction de type I) et baisse d'intensité si la protamine est diluée dans 100 mL NaCl 0.9% pour chaque demi-dose. Il est très fréquemment nécessaire d'accélérer les perfusions et de donner un vasoconstricteur (néosynéphrine ou nor-adrénaline) pour contrecarrer cet effet.
- Hypertension pulmonaire ; le complexe héparine-protamine déclenche la libération de thromboxane A2, qui est un vasoconstricteur pulmonaire; la PAP s’élève de 25-50%.
- Réaction antigène – anticorps (IgG et IgE) (réaction de type II); plus rare, celle-ci se rencontre chez les malades réopérés qui ont déjà reçu de la protamine et chez les diabétiques traités par une insuline stabilisée avec de la protamine (protamine-Zn); le phénomène est possible chez les patients allergiques aux poissons et chez les hommes vasectomiés.
- Réaction anaphylactoïde déclenchée par le complexe héparine-protamine en activant directement la voie classique du complément (C4a) sans l'intermédiaire d'une réaction antigène-anticorps (réaction de type III, qui survient dans 1.5% des cas). Le tableau clinique est celui d'une réaction anaphylactique catastrophique; la libération massive de thomboxane, déclenche une hypertension pulmonaire et une bronchoconstriction qui peuvent être foudroyantes et contraindre à retourner en CEC. Comme cette réaction est liée au NO, le bleu de méthylène peut être efficace mais il risque d'aggraver la crise hypertensive pulmonaire [38].
- En excès par rapport à l’héparine (> 1.5:1 mg), la protamine a un effet anticoagulant: elle inhibe la fonction plaquettaire, prolonge l'ACT et augmente l'hémorragie [21,34,39]. Les pertes sanguines augmentent de 26% lorsque le rapport héparine:protamine est 1.3 au lieu de 0.8 [25].
Les patients allergiques peuvent être opérés avec des circuits héparinés et une héparinisation systémique réduite (100 UI/kg), ce qui permet d’éviter l’administration de protamine [26]. Une dose de stéroïde pendant la CEC (500 mg méthylprednisolone) et une injection très lente (perfusion sur 20 minutes) par une voie périphérique peuvent diminuer l’intensité de la réaction chez un malade allergique.
Il est recommandé d'attendre l'effet de la protamine et de procéder à un test (thromboélastogramme, ROTEM™, HMS™) avant d’administrer d’autres agents destinés à améliorer la coagulation sanguine comme du sang autologue hémoconcentré, des facteurs de coagulation isolés, du PFC ou des plaquettes. Le volume que le perfusioniste récupère dans les circuits après la CEC est un perfusat contenant de l'héparine; son l'hématocrite est le même que celui de la CEC, donc inférieur à 30%.
L'administration de protamine est débutée après la décanulation veineuse de l’OD. Habituellement, on injecte la première moitié de la dose lentement (maximum 50 mg/min) par une voie veineuse périphérique, puis on enlève la canule aortique et l'on donne la deuxième moitié de la protamine. Cette manière de faire permet de diminuer l'hémorragie lors de la décanulation artérielle et d'éviter la formation de thrombus dans l'aorte; de plus, elle permet un retour en pompe plus rapide en cas de problème majeur. Si la canule artérielle est en position fémorale ou sous-clavière, on ne commence la protamine qu'après rétablissement complet de la circulation dans l'artère. Dès que l'administration de protamine a débuté, on arrête les aspirations de la machine de CEC pour passer aux aspirations perdues et au CellSaver™; en effet, des caillots peuvent se former dans le réservoir et l'oxygénateur, ce qui oblige à changer le circuit au cas où l'on doit repartir en pompe pour un problème aigu.
Anticoagulation en CEC |
Le contact du sang avec des surfaces étrangères et avec l’air oblige à une anticoagulation complète au moyen d’héparine non-fractionnée (HNF). L’héparine est administrée avant la CEC par voie centrale à raison de 300-400 U/kg pour obtenir un ACT > 400 secondes. Si l'ACT est < 400 secondes, on ajoute une dose supplémentaire de 10'000 U et on procède à un nouveau contrôle. Une impossibilité d’allonger l’ACT malgré une dose adéquate d’HNF doit faire suspecter une insuffisance en antithrombine III, qu’il faut remplacer sous forme de concentré (800 – 1'000 U/kg) ou de plasma frais décongelé. L'ACT recherché en cours de CEC est 480 secondes.
Les malades qui présentent une thombocytopénie induite par l’héparine peuvent être anticoagulés par d’autres substances, malheureusement sans antagoniste et non réversibles par la protamine:
- Lépirudine (Refludan®)
- Danaparoïde sodique (Orgaran®)
- Argatroban (Argatroban Injection®)
- Bivalirudine (Angiox®)
- Tirofiban ou prostacycline + héparine
La protamine antagonise l’héparine non-fractionnée à raison d’1 mg (100 UI) pour 1 mg d'héparine (100 UI). L’administration de protamine est débutée après la décanulation de l’OD; on donne la moitié de la dose prévue avant de décanuler l’aorte et la deuxième moitié après la décanulation de celle-ci. Dès que l'administration de protamine a débuté, on arrête les aspirations de la machine de CEC.
La protamine présente plusieurs effets secondaires:
- Vasodilatation systémique et hypotension artérielle
- Vasoconstriction pulmonaire
- Réaction antigène-anticorps
- Réaction anaphylactoïde foudroyante (choc anaphylactique)
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Tests de coagulation peropératoires
Le développement de tests faisables au lit du malade dans un délai de < 10 minutes (POC tests : point-of-care tests) permet d'avoir une idée plus précise du status coagulatoire et du degré d'anticoagulation (voir Chapitre 8, Tests de coagulation peropératoires). On peut ainsi hiérarchiser l'administration des différents facteurs hémostatiques en fonction des déficits spécifiques décelés au lieu de perfuser divers agents de la coagulation de manière indiscriminée. On a recours à trois types d'examens pendant la CEC.
- Temps de coagulation activée (ACT);
- Tests de résistance viscoélastique du caillot (TEG™, ROTEM™, Sonoclot™);
- Tests d'agrégabilité plaquettaire (Multiplate™, VerifyNow™, PFA-100™, etc).
Le plus utilisé est l’ACT (Activated clotting time) parce qu'il permet de quantifier le degré d'héparinisation du patient: du sang est mis dans un récipient qui contient un activateur de la voie intrinsèque (célite, kaolin, verre ou une combinaison de ces produits), puis le tube est placé dans une machine qui chauffe le sang à 37°C et qui mesure le temps de coagulation. Bien qu’il présente une relation quasi linéaire avec le taux d’héparine sérique, l’ACT n’est pas spécifique pour cette dernière, et peut présenter une certaine variabilité (± 10% selon les techniques) [32]. Plusieurs éléments prolongent l'ACT indépendamment de l'héparine: déficience en facteurs de coagulation, en fibrinogène ou en plaquettes, hémodilution, hypothermie, excès de protamine, anticorps anti-phospholipides, lupus [35].
Outre l'ACT, le monitorage de l'héparine peut s'effectuer par le dosage de sa concentration circulante selon deux procédés différents [21].
- Titration par une dose connue de protamine (1 UI de protamine neutralise 1 UI d'héparine) (système Hepcon™); indépendant de l'hémodilution.
- Titration de l'activité anti-Xa/IIa par fluorométrie; indépendant de la quantité d'antithrombine. Ce test est la valeur-étalon, mais il n'est ni rapide ni réalisable au lit du malade.
La mesure de la concentration d'héparine est plus fiable que l'ACT, car elle est mieux corrélée à l'activité anti-Xa que ce dernier; l'ACT tend à surestimer l'activité réelle de l'héparine, donc à sous-anticoaguler le malade [34].
Le thromboélastogramme (TEG™, ROTEM™) mesure une série de paramètres correspondant aux propriétés visco-élastiques du thrombus sous une force de cisaillement correspondant à celle qui règne dans la circulation veineuse [36].
- Temps de coagulation;
- Temps de formation du caillot;
- Vitesse de formation de la fibrine;
- Fermeté maximale du caillot;
- Lyse maximale du caillot.
L'addition de différents réactifs permet de différencier les besoins en protamine, en antifibrinolytique, en fibrinogène, en facteurs de coagulation ou en thrombocytes (voir Figure 8.18). Le thromboélastogramme n'est pour l'instant pas validé ni standardisé comme mesure de l'héparine, mais il est utile pour une évaluation individualisée du rapport héparine/protamine le plus adéquat [6,34].
Le thromboélastogramme n'est pas conçu pour évaluer la fonction plaquettaire. Plusieurs examens sont disponibles pour évaluer cette dernière, mais ils évaluent des mécanismes différents du fonctionnement des thrombocytes et leur degré de cohérence est modeste (Multiplate™, VerifyNow™, PFA-100™, etc) [28]. Ils sont cependant utiles chez les malades sous antiplaquettaires, chez qui ils ont une meilleure valeur prédictive que le délai entre l’opération et la dernière prise de clopidogrel [20,29]. lls permettent de mieux gérer la transfusion de plaquettes fraîches ou l'administration de desmopressine en cas d'hémorragie réfractaire [37].
L’utilisation de ces tests au sein d’algorithmes (voir Figure 8.19) basés sur l’administration ciblée de procoagulants permet d’économiser les transfusions sanguines sanguines (-10% à -62%), les transfusions plaquettaires (-25%) et surtout le plasma frais décongelé (5-10 fois moins); elle réduit de moitié l’incidence de transfusions massives et le taux de ré-exploration chirurgicale pour hémostase; elle abaisse la morbidité (insuffisance rénale, sepsis, thrombose) et l'incidence d’évènements thrombo-emboliques. Par contre, elle double l’utilisation de fibrinogène et de concentré de complexe prothrombinique et tend à augmenter les transfusions plaquettaires [9,10,14,40]. Le thromboélastogramme est réalisé au déclampage de l'aorte, avant la mise en charge, de manière à disposer des produits nécessaires dès que la protamine a été administrée; il est répété ensuite pour contrôler la pertinence du traitement ou corriger celui-ci en fonction des besoins [11]. Toutefois, la corrélation entre les résultats de l'examen et le risque hémorragique n'est pas linéaire; des valeurs normales n'excluent pas de devoir transfuser ou donner des procoagulants [6]. En effet, la composante endothéliale de la coagulation n'est pas entièrement prise en compte dans ces tests et l'effet des antiplaquettaires n'y est pas décelé.
Tests de coagulation en CEC |
L'ACT est la mesure la plus utilisée pour évaluer le degré d'héparinisation (valeur recherchée: ≥ 480 sec). Elle est réalisée toutes les 20-30 minutes en cours de CEC.
Le thromboélastogramme permet de différencier les besoins en protamine, en antifibrinolytique, en fibrinogène, en facteurs de coagulation ou en thrombocytes; il améliore la prise en charge des hémorragies s'il est utilisé au sein d'un algorithme décisionnel.
Un test de fonction plaquettaire est utile chez les patients sous antiplaquettaire ou en cas d'hémorragie réfractaire.
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© CHASSOT PG, GRONCHI F, Avril 2008, dernière mise à jour, Septembre 2019
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