Les altérations postopératoires des échanges gazeux, dont la traduction clinique est faible chez les individus normaux, prennent toute leur importance chez les patients qui souffrent de pathologies pulmonaires préexistantes: BPCO, syndrome restrictif, asthme, etc. Elles suffisent alors à précipiter une insuffisance ventilatoire grave nécessitant une thérapie respiratoire prolongée en soins intensifs. Avec une incidence de 10% à 25% des cas, les complications pulmonaires sont la deuxième source de morbidité postopératoire après les complications cardiaques; dans 2-5% des cas, la dysfonction est sévère et entraine des conséquences importantes [15]. La mortalité de ces complications est supérieure à celle d'origine cardiovasculaire: 21% au lieu de 8% [18].
Ventilation mécanique-assistée
Une ventilation protective s'impose pour limiter les traumatismes parenchymateux sur des poumons déjà handicapés par l'intervention et la CEC, si possible en mode SIMV (synchronised intermittent mandatory ventilation) [14,15].
- Volume courant 6-8 mL/kg (poids idéal);
- Fréquence 8-10 cycles/min;
- Rapport I:E 1:3;
- FiO2 0.4 -0.6, ou plus pour obtenir une SaO2 ≥ 98% (PaO2 ≥ 100 mmHg);
- PEEP 5 cm H2O (10 cm H2O en présence d'atélectasies);
- Manœuvres de recrutement: insufflation automatique de 20 secondes à 30 cm H2O toutes les 5-30 minutes.
Un VC de 10-12 mL/kg est associé à un relargage de médiateurs inflammatoires et à une prolongation de la ventilation mécanique [8,13]. Les patients souffrant de BPCO bénéficient d'une fréquence basse et d'un grand volume courant avec un flux inspiratoire élevé de manière à disposer d'un long expirium et éviter l'auto-PEEP ou l'air trapping. L'inverse est préférable chez ceux qui ont une maladie pulmonaire restrictive. La PEEP > 5 cm H2O est souvent nécessaire pour recruter les alvéoles atélectasiées, mais elle a impact hémodynamique important: frein au retour veineux systémique, augmentation de postcharge pour le VD. Les manœuvres de capacité vitale (insufflation à 30 cm H2O pendant 20 secondes) permettent le recrutement d'alvéoles atélectasies [7].
La ventilation postopératoire pendant plusieurs heures a été la routine en chirurgie cardiaque pendant des décennies. Depuis une vingtaine d'années cependant, l'attitude a évolué vers une extubation précoce (entre 0 et 4 heures postopératoires), qui est devenue la règle pour les cas à risque faible ou modéré parce qu'elle diminue le risque de complications pulmonaires (OR 0.35) et septiques (OR 0.38), et parce qu'elle raccourcit la durée du passage en soins intensifs (OR 0.42) et le séjour hospitalier (OR 0.37) sans augmenter les risque de réintubation (OR 0.53) (voir Chapitre 23, Sevrage rapide) [6,19]. Moins d'un quart des patients nécessitent une ventilation prolongée au-delà de 6-8 heures parce que ce sont des cas à haut risque dont la priorité est la stabilité hémodynamique: urgences, malades âgés, défaillance ventriculaire, comorbidités sévères, très longue CEC, polytransfusion, assistance ventriculaire. Toute la chirurgie cardiaque courante, particulièrement les techniques minimalement invasives ou les opérations à cœur battant, se prête bien à un sevrage ventilatoire rapide [12].
La ventilation mécanique non-invasive (NIV, non-invasive ventilation) dès l'extubation réduit le travail ventilatoire, améliore les échanges gazeux et assure le recrutement alvéolaire, prévenant ainsi les atélectasies et réduisant le risque de réintubation [10]. Appliquée par masque oronasal, par masque facial, par pièce buccale ou par casque, elle fournit une CPAP de 3-5 cm H2O auxquels s'ajoutent une pression inspiratoire de 8-12 cm H2O et des soupirs à 25 cm H2O pendant 8 secondes toutes les minutes. Les nouveaux respirateurs compensent les fuites, mais la synchronisation entre l'activité respiratoire spontanée du patient et les cycles de la machine reste un facteur déterminant pour le succès de cette technique [1].
Ventilation en CEC
Bien que la ventilation ne soit pas nécessaire aux échanges gazeux pendant la CEC, les poumons laissés à eux-mêmes collabent et s'atélectasient; le drainage lymphatique s'effondre. Lorsque l'aorte est clampée, le débit dans l'artère pulmonaire s'arrête et le flux des artères bronchiques diminue de 50% [7]. Le mode ventilatoire au cours de la CEC est un sujet de débat irrésolu. Aucune étude n'a jusqu'ici clairement démontré la supériorité d'une technique sur une autre.
Une routine est de laisser un bas débit continu d'O2 et d’air (1 L/min, FiO2 0.3-0.5) sans PEEP. La CPAP (continuous positive airway pressure) à 5-10 cm H2O, la ventilation mécanique à bas volume courant (3-4 mL/kg) et basse fréquence (6 cycles/min), ou les manœuvres de capacité vitale en cours de CEC, améliorent certes les paramètres de l'oxygénation au moment de la sortie de pompe, mais cet effet ne se prolonge pas et n'a aucun impact sur le devenir des patients [2,5,11]. Une récente méta-analyse confirme l'amélioration momentanée du gradient alvéolo-artériel par la CPAP mais l'absence d'impact de la ventilation sur les complications pulmonaires et sur la durée de l'assistance respiratoire postopératoire [17]. Rien dans la littérature ne permet donc de recommander une quelconque forme de ventilation autre qu'un flux passif de mélange O2/air, d'autant plus que la ventilation encombre le champ opératoire et ramène du sang dans l'OG, ce qui peut gêner considérablement l'opérateur [3]. L’incidence des atélectasies postopératoires ne semble pas non plus en rapport avec le mode ventilatoire pendant la CEC (ventilation mécanique continue, CPAP en apnée, ou absence de ventilation), pour autant que les poumons soient correctement ré-expandus à la reprise de la ventilation [16]. En revanche, les manœuvres de capacité vitale (30-40 cm H2O pendant 20-30 secondes) sont essentielles au moment de la reprise de la ventilation avant la mise en charge. Comme l'expansion des poumons dérange le chirurgien et peut exercer une tension excessive sur un greffon mammaire, il faut bien surveiller le champ opératoire au cours de ces manoeuvres.
La ventilation mécanique est clairement bénéfique dès que le coeur éjecte du sang, avant ou après le clampage aortique. Lorsque le cœur bat en CEC (aorte déclampée), le sang qui perfuse les coronaires est pour une grande partie du sang propulsé par le VG, donc revenu des poumons par les veines pulmonaires; son contenu en O2 augmente si les poumons sont ventilés. Il en est de même lors de CEC partielle (fémoro-fémorale, par exemple). Dans ces conditions, il est recommandé d'assurer une ventilation réduite: VC 3-4 mL/kg, fréquence 6-8 cycles/min, FiO2 0.3-0.5, absence de PEEP.
Au moment de la reventilation en fin de CEC, une manoeuvre d’insufflation à capacité vitale maximale est nécessaire pour diminuer le risque d’atélectasies ultérieures [9]. La compliance pulmonaire est en général abaissée, et les pressions de ventilation supérieures à leurs valeurs initiales; les poumons font facilement de l’air-trapping. La normoventilation, voire l'hyperventilation, doivent être maintenues en dépit de ce phénomène. Comme cette surpression cède progressivement, il est important de reventiler assez tôt avant la mise en charge, afin d'avoir résolu le problème pulmonaire au moment de la reprise de la circulation normale. L'activation des kinines, des cytokines et du complément par le contact avec les surfaces étrangères du circuit de CEC est responsable de ces modifications, qui s'accompagnent aussi de vasoconstriction pulmonaire. La situation peut être aggravée par la protamine, qui est un puissant vasoconstricteur pulmonaire et un bronchoconstricteur. En cas d'encombrement trachéobronchique, l'aspiration est réalisée avec précaution car le malade est anticoagulé.
Quelle que soit l'attitude choisie, il est important de reventiler les poumons assez tôt avant la fin de la CEC, de manière à avoir résolu les problèmes liés à la baisse de la compliance, aux atélectasies et à la diminution des échanges gazeux avant la mise en charge. Les manoeuvres de capacité vitale sous contrôle visuel par la sternotomie (2 fois 20 secondes à 20 cm H2O) ont une incidence préventive contre les atélectasies, pour autant qu’elle soient suivies d’une PEEP de 5-10 cm H2O [4].
Outre leur effet broncholytique, les agonistes béta comme le salbutamol ou l’isoprénaline améliorent la clearance du liquide alvéolaire et ont des propriétés anti-inflammatoires ; ils peuvent diminuer l’incidence d’œdème pulmonaire postopératoire [13].
Protection pulmonaire |
Il n’y a pas de protection spécifique pour les poumons à part une prise en charge judicieuse de la ventilation :
- Ventilation à volume courant réduit (6-8 mL/kg) avec PEEP (10 cm H2O)
- Débit d’O2/air non pulsé pendant la CEC
- Expansion pulmonaire par une manœuvre de capacité vitale à la fin de la CEC
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© CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour, Juin 2018
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