26.8.2 ETO peropératoire

Examen ETO pré-CEC

L’examen réalisé en début d’intervention doit apporter un certain nombre de mesures permettant de sélectionner la taille de la prothèse et de préciser la technique chirurgicale [12].
 
  • Anneau mitral : diamètre en vue bicommissurale 60° et long-axe mi-oesophage 120-140° ; mesure en diastole (voir Tableau 26.1).
  • Taille de l’OG et/ou présence de FOP : choix de la voie d’accès par l’OG ou l’OD (transseptale) pour le remplacement mitral.
  • Anneau aortique (voir Figure 26.73) : mesure en long-axe mi-oesophage 120° du plus grand diamètre obtenu en systole (rotations fines de la sonde pour obtenir le diamètre maximal du cylindre). L’anneau est défini par le point de jonction entre le bord inférieur des cuspides aortiques et la CCVG, là où s’articulent les feuillets à l'échocardiographie. Il peut être difficile à identifier en cas de calcification et doit être visualisé d’abord sur l’image en mouvement avant de l’immobiliser pour la mesure. La taille de l’anneau aortique détermine celle des prothèses mécaniques et biologiques montées (voir Tableau 26.5).
  • Jonction sino-tubulaire : ce diamètre doit présenter une différence de < 10% par rapport à celui de l’anneau pour permettre l’implantation de bioprothèses sans monture (stentless) ou de < 30% pour une bioprothèse sans fixation (sutureless), sinon la suture supérieure des commissures trop excentrées empêchera une coaptation normale des cuspides [7].
  • Chambre de chasse : diamètre tout au long du conduit, position du feuillet mitral antérieur, distance entre le septum et le point de coaptation mitral en systole (C-sept) ; le risque de sténose sous-aortique dynamique postopératoire est important si cette distance est < 2.6 cm (Figure 26.48) ou s’il existe un éperon septal proéminent (Figure 26.152).
  • Epaisseur du septum : mesure en long-axe 90-120° au niveau de la CCVG (valeur normale : 1.2 cm) ;  détermine l’importance de la myectomie à réaliser en cas d’HVG pour prévenir le risque de sténose dynamique sous-aortique après remplacement valvulaire aortique.
  • Opération de Ross (voir Figure 26.93) : substitution de la valve aortique par la valve pulmonaire du patient; cette dernière est remplacée par une hétérogreffe ou une homogreffe. Plusieurs mesures sont capitales pour la réussite de l’opération (Vidéos et Figure 26.153).
    • Congruence des anneaux aortique (vue long-axe 120°) et pulmonaire (vue admission – chasse VD 60° et long-axe 90°) ; la différence ne doit pas excéder 15%.
    • Bonne coaptation des cuspides pulmonaires (vue long-axe 90°).
    • Absence d’insuffisance pulmonaire ; valve pulmonaire tricuspide (vue court-axe 140°). La bicuspidie pulmonaire est en général considérée comme une contre-indication.
    • Gradient de la valve pulmonaire (< 5 mmHg) en vue long-axe de l’AP (0° court-axe de l’aorte ascendante, 90° court-axe de la crosse aortique) ou de la CCVD (30-60° transgastrique).
    • Epaisseur du septum interventriculaire au niveau de la CCVD (vue long-axe 90°), indiquant à l’opérateur la profondeur à laquelle il peut exciser le manchon de chambre de chasse qu’il doit prélever avec la valve pulmonaire. Cette vue doit viser la zone sous-valvulaire pulmonaire et non la zone sous-aortique, car l'épaisseur du septum varie selon les différents plans. La mesure mentionnée au chirurgien est celle qui est la plus basse, de manière à éviter le risque d'une CIV postopératoire.


      Vidéo: néo-valve aortique faite de la valve pulmonaire transposée en position aortique; l'image ne montre ni anomalie structurelle, ni fuite, ni sténose.


      Vidéo: hétérograffe (Contegra) en remplacement de la valve pulmonaire.
Il est prudent de répéter toutes ces mesures sur plusieurs cycles cardiaques pour en augmenter la précision.



Figure 26.48 : Eléments prédicteurs de bascule du feuillet antérieur dans la chambre de chasse en postopératoire (SAM systolic anterior motion). A : rapport hauteur du feuillet antérieur / hauteur du feuillet postérieur < 1.3. B : distance entre le point de coaptation et le septum < 2.6 cm. C : hauteur du feuillet postérieur déployé en diastole > 1.5 cm. D : angle mitro-aortique refermé (< 140°) [D'après: Maslow AD, et al. Echocardiographic predictors of left ventricular outflow tract obstruction and systolic anterior motion of the mitral valve after mitral valve reconstruction for myxomatous valve disease. J Am Coll Cardiol 1999; 34:2096-104].



Figure 26.152 : Eperon septal proéminent (vue long-axe 120°). A: en préopératoire. B: après résection par myectomie.



Figure 26.153 : Mesures spécifiques avant une opération de Ross. A: épaisseur du septum interventriculaire sous-pulmonaire (en l'occurrence 0.786 cm). B: hauteur de coaptation de la valve pulmonaire. C: état, dimension et mobilité des valvules pulmonaires; mesure du diamètre de la valve pulmonaire. D: vue court-axe de la valve pulmonaire pour s'assurer de sa tricuspidie.

 
Messages pour le chirurgien avant une opération de Ross
Différence de diamètre entre l’anneau aortique et pulmonaire < 15%
Valve pulmonaire tricuspide
Coaptation pulmonaire satisfaisante
Gradient pulmonaire < 5 mmHg, absence d’insuffisance pulmonaire
Epaisseur du septum interventriculaire au niveau de la CCVD

Examen ETO post-CEC

Après remplacement valvulaire mitral (RVM) ou aortique (RVA), la condition fondamentale pour que l’examen soit pertinent est d’en interpréter les données en fonction de l’hémodynamique du patient.
 
  • L’ouverture et la fermeture des ailettes et des cuspides sont incomplètes sous assistance par la machine de CEC.  
  • L’hypovolémie, l’hémodilution et le bas débit cardiaque diminuent les vélocités et les gradients ; la surface réelle est surestimée par l’équation de continuité.
  • L’hypervolémie et la stimulation inotrope augmentent les vélocités et les gradients ; l’équation de continuité sous-estime la surface.
  • La contre-pulsion intra-aortique (CPIA) augmente très fortement le gradient maximal à travers la valve aortique parce que la pression est très basse dans l’aorte ascendante en protosystole ; à un moindre degré, la vasoplégie a le même effet.
  • La tachycardie limite le flux à travers les valves auriculo-ventriculaires par raccourcissement de la diastole. La bradycardie tend à diminuer le gradient à travers la valve aortique.
  • Les arythmies perturbent l'évaluation des prothèses. La FA oblige à moyenner les mesures de plusieurs cycles cardiaques dont la durée correspond à une fréquence de 60-70 batt/min.
L’examen commence donc par une évaluation de la performance ventriculaire (VG et VD) et de la volémie. Cet aspect est prioritaire pendant la mise en charge. L’examen détaillé de la prothèse n’a de sens que lorsque l’hémodynamique du patient est stabilisée et lorsque le débullage est complet. L'évaluation de la prothèse doit être complète mais rapide, car toutes les données doivent être connues avant l'administration de la protamine. Le but est de pouvoir décider si le résultat est acceptable ou si un retour en pompe s'impose [12]. L’échogénicité marquée du matériel prothétique bloque la vision des ventricules en vues mi-oesophagiennes; seules les vues transgastriques peuvent renseigner correctement sur la fonction et le remplissage.

L’examen de la prothèse se base sur l’imagerie 2D, le Doppler couleur et le calcul des gradients. Les vues bidimensionnelles mettent en évidence l’ouverture/fermeture des ailettes ou des feuillets [12].
 
  • Prothèse mécanique bi-ailette : mouvements simultanés des 2 ailettes sur la même image, en vue mi-oesophagienne 30-80° (prothèse mitrale) ou transgastrique 0° et 120° (prothèse aortique). La vue simultanée des 2 ailettes est la seule preuve bidimensionnelle que la prothèse fonctionne correctement. Ne voir qu’une ailette dans deux plans différents, même si l’orientation de l’ailette est différente, n’exclut pas qu’on aperçoive en fait deux fois la même ailette et que l’autre reste invisible. La confirmation est apportée par le flux couleur (double passage par les deux grands orifices) et le calcul des gradients. En position mitrale, on parvient toujours à trouver un plan où les 2 ailettes apparaissent en même temps (Vidéo). En position aortique, l’image dépend de l’orientation de la prothèse (Vidéos) ; il se peut que la vue des 2 ailettes soit impossible.
  • Prothèse biologique : mouvements des cuspides en vue rétrocardiaque 0° à 120° (bioprothèse mitrale) ou court-axe 40° et long-axe 120° (bioprothèse aortique) ; mesure de la surface d’ouverture en court-axe 40° (bioprothèse aortique) (Vidéos).
  • En court-axe, le contact de la prothèse avec l'anneau mitral ou la racine de l'aorte doit être continu: pas de solution de continuité, de déhiscence ou de mouvement de la prothèse indépendant des structures sur lesquelles elle est fixée, à l'exception des bioprothèses sans suture (Perceval™) dont la collerette distale n'a pas besoin d'être accolée à la jonction sino-tubulaire [7].
  • Il est normal de voir un manchon autour de la racine aortique après RVA (hématome, thrombus, suture) (Vidéo).
  • Recherche de fuite paravalvulaire ou d’éventuels thrombus, nécessitant une intervention immédiate.
  • Présence de fils de suture et de filaments de fibrine (anodins).

Vidéo: vue 4-cavités 35° centrée sur la prothèse mitrale St Jude; les deux ailettes bougent symétriquement.


Vidéo: vue transgastrique 5-cavités profonde 0° montrant que les deux ailettes de la prothèse aortique s'ouvrent et se ferment correctement.


Vidéo: vue transgastrique long-axe 120° mettant en évidence les deux ailettes de la prothèse aortique mécanique.


Vidéo: bioprothèse en position mitrale.


Vidéo: vue court-axe d'une bioprothèse en position aortique; on distingue clairement les 3 picots de suspension qui sont situés en position anatomique des commissures de la valve native. Les feuillets s'ouvrent et se ferment correctement.


Vidéo: vue long-axe d'une bioprothèse sans monture (stentless); les deux feuillets visibles coaptent adéquatement. Le manchon d'hématome périaortique est normal dans les premiers jours postopératoires.

Plusieurs complications sont immédiatement détectables par l’ETO [12,20].
 
  • Blocage d’une ailette : absence de mouvement et de flux sur la moitié de la prothèse, fuites et gradients excessifs ; en général causé par l’appareil sous-valvulaire (position mitrale) ou la musculature de la CCVG (position aortique) (Vidéos et Figure 26.154). Ce blocage peut être corrigé par rotation de la prothèse dans son anneau, mais ceci implique un retour en CEC. Le blocage d'une ailette peut être considéré comme exclu si le gradient est normal.
  • Lors de bioprothèse en position mitrale, le montant antérieur de la valve peut obstruer partiellement la CCVG; mesure de la Vmax dans la CCVG (risque de sténose) (Vidéo).
  • Après remplacement valvulaire mitral (RVM):
    • La préservation de la base des feullets et de l'appareil sous-valvulaire entraine une certaine mobilité de la valve qui peut faire penser à une désinsertion partielle, mais une vraie déhiscence s'accompagne d'une régurgitation paravalvulaire.
    • Les points de fixation de la prothèse au niveau latéral peuvent léser l’artère circonflexe  et entraîner une akinésie latérale. En effet, le trajet de la CX dans le sillon auriculo-ventriculaire gauche est à quelques millimètres de l'anneau mitral et les points de fixation latéraux peuvent aisément empiéter sur le vaisseau, l'occlure et causer une immobilité de la paroi latérale.
    • Les points de fixation au niveau du trigone peuvent causer une restriction de la cuspide non-coronaire ou coronaire gauche de la valve aortique, et déclencher ou aggraver une insuffisance (IA).
    • La pire complication chirurgicale qui puisse survenir après chirurgie mitrale est une déchirure de l'anneau et de la base du VG, le plus souvent au cours d'une réopération. La reconstruction en est extrêmement hasardeuse et la mortalité très élevée. Une ré-entrée d'air dans le VG après débullage en est un signe annonciateur.
  • Après remplacement valvulaire aortique (RVA): 
    • Contrôle du flux dans le tronc commun et dans la coronaire droite au Doppler couleur (Vidéo).
    • Contrôle de la valve mitrale : des points de fixation de la prothèse aortique au niveau du trigone peuvent opérer une traction sur le feuillet antérieur et déclencher une IM ou aggraver une fuite préexistante. En cas de décalcification de l’angle mitro-aortique, une déchirure peut apparaître à la racine du feuillet mitral antérieur (Vidéo).
    • La myectomie septale dans la CCVG, qui accompagne souvent le RVA pour sténose aortique et HVG importante, peut être excessive et traverser le septum sous-aortique de part en part, conduisant à une CIV iatrogène (Vidéo). Le flux couleur montre un passage tourbillonnaire systolo-diastolique entre le VG et le VD.
  • Fuite paravalvulaire, effet CMO, discordance patient-prothèse : voir plus loin.
  • Heureusement rarissime: montage de la prothèse à l'envers (Vidéo)


    Vidéo: prothèse mitrale bi-ailette dont une ailette est bloquée en position fermée.


    Vidéo: prothèse mitrale bi-ailette bloquée en position intermédiaire se comportant hémodynamiquement comme une sténose mitrale.


    Vidéo: fuites mitrales importantes dans le même cas de blocage d'une prothèse mécanique mitrale.

    Vidéo: prothèse mitrale bi-ailette avec blocage complet de l'ailette postérieure et restriction à l'ouverture de l'ailette antérieure.

    VIdéo: flux couleur dans le même cas. La valve est étanche en systole mais très restrictive en diastole. Le comportement hémodynamique est celui d'une sténose mitrale.

    Vidéo: image fluoroscopique du blocage de l'ailette postérieure d'une prothèse mitrale, alors que l'ailette antérieure est normalement mobile.



    Vidéo: bioprothèse mitrale dont un montant est contigu de la valve aortique.


    Vidéo: bioprothèse mitrale dont un montant empiète dur la chambre de chasse du VG.


    Vidéo: petite insuffisance aortique apparue après un remplacement valvulaire mitral par une prothèse.


    Vidéo: vue court-axe de la racine aortique montrant le tronc commun sans lésion après un remplacement valvulaire aortique.


    Vidéo: vue court-axe de la racine aortique montrant un flux normal dans le tronc commun après un remplacement valvulaire aortique.


    Vidéo: petite insuffisance mitrale à travers la racine du feuillet antérieur apparue après un remplacement valvulaire aortique.


    Vidéo: communication interventriculaire au niveau de la chambre de chasse gauche suite à une résection excessive dans le septum musculaire.


    Vidéo: prothèse mitrale mécanique montée à l'envers découverte après l'échec répété de toute sortie de CEC.


Figure 26.154 : Ailette bloquée dans une prothèse de St Jude en position mitrale. A: en systole, les deux ailettes sont correctement en place. B: en diastole, une seule ailette s'ouvre (flèche jaune), l'autre reste bloquée en position fermée (flèche rouge). C: au Doppler couleur, le flux ne passe que par un seul orifice. D: en reconstruction tridimensionnelle, un seul orifice est ouvert en diastole.

Le flux couleur est nécessaire pour guider le positionnement du Doppler pulsé/continu dans le flux antérograde et rétrograde. Il démontre les régurgitations.
 
  • Fuites d’autolavage dans les prothèses mécaniques ; leur nombre et leur taille dépend des modèles ; elles sont intravalvulaires et mineures (Vidéo).
  • Fuites résiduelles dans les bioprothèses (centrale et/ou aux commissures).
  • Fuites paravalvulaires situées à l’extérieur de l’anneau; elles sont toujours pathologiques.
  • Fuite mitrale secondaire à une rétraction du feuillet antérieur par les sutures postérieures d’une prothèse aortique.
  • Fuite mitrale secondaire au mouvement systolique du feuillet mitral antérieur dans la CCVG (SAM, voir ci-dessous Sténoses sous-aortique dynamique).
  • Fuite aortique par rétraction de la cuspide non-coronaire ou coronaire gauche par les sutures d’implantation d’une prothèse mitrale.
  • Flux de CIV sous-aortique après myectomie excessive de la CCVG.


    Vidéo: fuites d'autolavage normales d'une prothèse St Jude; ces fuites ont une importance et des aspects variables selon les modèles de prothèse.
L’apparition d’une insuffisance mitrale (IM) après un RVA peut être liée à plusieurs phénomènes différents.
 
  • Réouverture mésosystolique de la valve mitrale sur sténose dynamique sous-aortique (SAM); même importante, cette IM est brêve et ne dure pas toute la systole ; elle est méso-télésystolique.  C’est souvent le signe d’appel de l’effet "CMO" (voir plus loin).
  • Rétraction du feuillet antérieur par des points d’ancrage de la prothèse ; la proximité de l’anneau aortique et de l’anneau mitral au niveau du trigone fait que des points un peu larges à cet endroit exercent une traction sur le feuillet antérieur et peuvent l’empêcher d’occlure correctement.
  • Dysfonction du VG ; l’IM est un signe d’accompagnement habituel d’une dilatation ou d’une ischémie aiguë du VG.
  • Persistence d’une IM présente avant la CEC, qu’elle soit organique (maladie calcifiante, dégénérescence, remaniemens dus à l’âge) ou fonctionnelle (calcifications de l’anneau mitral dysfonction ou dilatation du VG). Le plus souvent, la levée de l’obstacle à l’éjection que représentait la sténose aortique ou la levée de la surcharge de volume par l'insuffisance aortique diminue suffisamment le stress de paroi du VG pour que l’IM soit moins importante qu’en préopératoire.
Gradients de pression

Les gradients varient selon le type de prothèse et selon sa taille, mais ils sont toujours supérieurs à ceux d’une valve native normale. Ils sont influencés par l'hémodynamique et les conditions cliniques (Tableau 26.8). De manière simplifiée, on peut prendre les repères suivants pour les gradients moyens et les vélocités maximales (pour plus de détails, voir Tableau 26.13, Tableau 26.14 et Tableau 26.15) [3,5,7,14,16,18,20].
 
  • En position mitrale :
    • Valve mécanique bi-ailette    ΔPmoy 3-5 mmHg         Vmax 1.2 – 1.6 m/s
    • Bioprothèse montée               ΔPmoy 6 mmHg            Vmax 1.5 – 1.8 m/s
  • En position aortique :
    • Bioprothèse sans armature   ΔPmoy 4-8 mmHg        Vmax 1.5 – 1.8 m/s
    • Bioprothèse sans suture        ΔPmoy 8-10 mmHg      Vmax 1.8 – 2.5 m/s
    • Valve mécanique bi-ailette    ΔPmoy 6-15 mmHg      Vmax 2.0 – 2.5 m/s  
    • Bioprothèse montée               ΔPmoy 12-20 mmHg    Vmax 2.5 – 3.0 m/s
En position aortique, il est essentiel de calculer le gradient avec l’équation de Bernoulli prenant en compte la vélocité dans la chambre de chasse (ΔP = 4 • (V2Ao – V2CCVG), car celle-ci est souvent bien au dessus de 1.5 m/s dans les conditions hémodynamiques de sortie de pompe : HVG concentrique, hypovolémie, stimulation catécholaminergique et baisse de postcharge par la levée de la sténose. La sténose sous-aortique dynamique est définie par une Vmax dans la CCVG > 2.5 m/s ; à elle seule, elle induit un ΔPmax > 25 mmHg. Le rapport entre l’ITV dans la CCVG et à travers la valve (R = ITVCCVG / ITVVAo) est utile pour apprécier le degré d’accélération généré par la prothèse.


Toutefois, plusieurs phénomènes peuvent induire un gradient trans-prosthétique faussement élevé à travers une prothèse aortique [17].
 
  • Episode momentané de haut volume systolique : hypervolémie, transfusion trop rapide depuis la machine de CEC.
  • Phénomène de récupération de pression: l'énergie cinétique se retransforme en pression au-delà de la zone d'accélération maximale où la pression est minimale; comme l'échocardiographie mesure la pression précisément par la vélocité maximale, elle a tendance à surestimer le gradient réel (Figure 26.155). Ce phénomène est surtout marqué pour les petites prothèses et les aortes de < 3 cm.
  • Sténose sous-aortique dynamique (effet CMO) : la levée de l’obstacle à l’éjection peut amener un ventricule hypertrophié à collaber sur lui-même en systole, car sa cavité est naturellement petite et la chambre de chasse très musclée ; le feuillet antérieur de la valve mitrale est déplacé vers la CCVG et y est aspiré au point d'en bloquer partiellement le flux. Ce rétrécissement de la chambre de chasse en systole crée une obstruction dynamique qui peut représenter un gradient de 25-40 mmHg (voir ci-après Sténose sous-aortique dynamique). Ce gradient doit être soustrait du gradient transaortique total mesuré à l’écho Doppler pour obtenir le gradient propre de la prothèse.
  • Même sans sténose musculaire, la vélocité dans la chambre de chasse du VG peut dépasser 1.5 m/s à cause d’une stimulation sympathique importante et d’une hypervolémie passagère. Dans ce cas, l’équation de Bernoulli doit être rectifiée en tenant compte de la Vmax dans la CCVG : ΔP = 4 (V22 –V12), où V2 est la Vmax à travers la prothèse et V1 la Vmax de la CCVG. Le gradient créé dans la CCVG est ainsi soustrait du gradient total pour obtenir celui qui est propre à la prothèse.
  • La présence d'une contrepulsion intra-aortique (CPIA) abaisse considérablement la pression dans l'aorte ascendante en début de systole lorsque le ballon se dégonfle; il s'ensuit un gradient exagéré entre le VG et l'aorte; il faut mesurer le gradient pendant un arrêt momentané de la CPIA. Une dilatation importante de l’aorte ascendante a le même effet.
  • Défaut d'appariement entre la taille de la prothèse et celle du patient (patient-prosthesis mismatch): une surface d'ouverture < 0.85 cm2/m2 pour une prothèse aortique ou < 1.2 cm2/m2 pour une prothèse mitrale crée un gradient excessif (voir Discordance patient-prothèse).


Figure 26.155 : Equation de continuité et calcul du gradient de pression. A : l’équation de continuité exprime la loi de la conservation de l’énergie cinétique ; lorsque la vitesse accélère, la pression baisse, et inversement. La Vmax est atteinte juste distalement au rétrécissement (appelé vena contracta); c’est là que la pression est la plus basse. La pression est récupérée distalement (pressure recovery, PR) au fur et à mesure que la vélocité baisse parce que le conduit s’élargit. La récupération n’est pas totale à cause de la perte de charge provoquée par les forces de friction et par la formation de tourbillons (vortex); elle est d'autant moindre que la perte d'énergie est plus grande [20]. B : Au Doppler continu après RVA, on dispose d’une double enveloppe pour mesurer la Vmax dans la CCVG et dans l’ensemble CCVG + prothèse. Si l’on utilise l’équation simplifiée de Bernoulli (ΔP = 4 • Vmax2), on trouve un gradient de 21 mmHg. Si l’on utilise l’équation en tenant compte de la Vmax dans la CCVG, soit ΔP = 4 • (V2VAo – V2CCVG), le gradient à travers la prothèse n’est que de 10 mmHg. Dans le cas d’une bioprothèse sans monture, cette différence a un impact chirurgical direct, car 22 mmHg est un gradient excessif pour ce type de valve et peut conduire à un retour en CEC qui n’est en réalité pas justifié.

Sténose sous-aortique dynamique (effet CMO)

L’obstruction dynamique à l’éjection, ou effet cardiomyopathie obstructive (effet CMO), survient facilement lorsqu’on a levé l’obstacle de la sténose aortique chez un malade dont le VG souffre d’hypertrophie concentrique (voir Chapitre 11, Sténose sous-aortique dynamique). L’incidence est de 14% dans les RVA pour sténose aortique ; dans 50% des cas, l’obstruction est dans le corps du ventricule et dans 50% dans la CCVG [2]. Plusieurs éléments entrent en ligne de compte [2,19].
 
  • Dans l’HVG concentrique, la cavité ventriculaire est rétrécie et la musculature de la CCVG est anormalement épaisse; il est d’usage d’y pratiquer une myectomie large pour agrandir le passage en systole.
  • La postcharge est soudainement abaissée par le remplacement de la valve aortique sténosée avec une prothèse de basse résistance; cet effet est accentué par l'utilisation de vasodilatateurs.
  • La fonction ventriculaire gauche est bonne, souvent exagérée par une stimulation adrénergique; l’utilisation de catécholamine béta triple l’incidence d’obstruction dynamique.
  • L’hypovolémie accentue le phénomène en réduisant le volume de la cavité ventriculaire.
  • L’hypotension dans l’aorte ascendante (vasoplégie, CPIA) augmente le gradient à travers la valve aortique.
Ces phénomènes conduisent à une vélocité exagérée au sein du VG ou dans la chambre de chasse (Vmax > 2.5 m/s). Si la cavité du VG hypertrophique se rétrécit (hypovolémie) et que la course systolique de la paroi postérieure amène celle-ci plus en avant (stimulation béta), le point de coaptation de la mitrale avance en direction de la CCVG, l’occlusion n’a plus lieu sur le bord distal du feuillet antérieur mais sur son corps, et la pression intaventriculaire le repousse antérieurement en direction de la chambre de chasse. Par effet Venturi, il est ensuite aspiré dans la CCVG et l’occlut plus ou moins complètement. C’est le SAM (systolic anterior motion), qui survient en méso-télésystole (Vidéos et Figure 26.156). Le flux baisse dans l’aorte et la réouverture de la valve mitrale en cours de systole induit une IM méso-télésystolique. Ce phénomène est bien visible en 4-cavités ou en long-axe du VG mi-œsophage, mais peut être absent en cas d’obstruction intraventriculaire.


Vidéo: subobstruction de la chambre de chasse du VG par le feuillet mitral antérieur (SAM) après remplacement valvulaire aortique.



Figure 26.156 : Sténose sous-aortique dynamique après remplacement valvulaire aortique (RVA). A : avant le RVA, la vélocité maximale (Vmax) est élevée à travers la sténose aortique (> 4 m/s), mais non dans la chambre de chasse (CCVG) (< 1 m/s), car elle est freinée avant l’obstacle de la valve. Sep HVG: hypertrophie septale. B : après RVA, l’obstacle est levé, la Vmax à travers la valve baisse ; mais la CCVG reste hypertrophique et peut se rétrécir excessivement au cours de la systole en cas de stimulation sympathique puisqu’il n’y a plus d’obstacle pour y maintenir une pression élevée. C: en protosystole, l’hypertrophie concentrique et le rétrécissement de la cavité ventriculaire (hypovolémie, baisse de postcharge, stimulation inotrope béta) déplacent le massif postérieur vers l'avant; le feuillet antérieur et le point de coaptation (Pcoapt) de la valve mitrale sont poussés vers la chambre de chasse (CCVG). L’angle entre le plan de la valve aortique et celui de la valve mitrale (angle mitro-aortique : pointillé vert) se referme. L’accélération du flux dans la CCVG crée un effet Venturi qui aspire le feuillet antérieur de la mitrale (SAM, systolic anterior motion). D: en mésotélésystole, le feuillet mitral contribue à l’obstruction dynamique de la CCVG; la valve mitrale n’est plus occluse et une régurgitation mitrale (IM) apparaît dans la deuxième moitié de la systole. Ep : éperon septal.

A l'ETO, la recherche d'une obstruction dynamique de la chambre de chasse après un RVA fait appel à l'écho 2D, au flux Doppler et au mode TM pour en discerner les signes les plus pathognomoniques (Figure 36.157).
 
  • Déplacement du feuillet antérieur de la valve mitrale dans la CCVG; il paraît coudé en mi-systole (SAM);
  • Vmax dans la CCVG ≥ 2.5 m/s;
  • Au Doppler couleur, flux accéléré et tourbillonnaire dans la CCVG (en amont de la prothèse aortique) et flux d'IM dès la mi-systole;
  • Au Doppler spectral, aspect "en dague" du flux aortique avec une vive accélération en mésosystole accompagnée d'un rétrécissement de la courbe à cause de la chute du volume systolique;
  • Le collapsus méso-systolique des cuspides au mode TM n'est visible que sur les bioprothèses, et peut être absent; il n'existe pas avec les valves mécaniques.


Figure 26.157 : Obstruction dynamique de la CCVG. A: coudure du feuillet mitral antérieur qui bascule dans la CCVG en systole. B: flux tourbillonnaire systolique dans la CCVG et à travers l'IM. C: aspect "en dague" du flux aortique au Doppler spectral. D: collapsus mésosystolique des cuspides aortiques au mode TM; ce phénomène, absent avec les prothèse mécaniques, n'est visible que si les feuillets de la bioprothèse sont suffisamment souples, ce qui est rare.

Plusieurs éléments décelables avant la CEC ont une valeur prédictive pour ce phénomène (voir ci-dessus Figure 26.48) [2,13,19].
 
  • Petite cavité gauche, diamètre télédiastolique du VG < 4.2 cm, diamètre télésystolique < 2.5 cm, CCVG étroite (1.7 cm);
  • Vmax du flux intraventriculaire > 1.3 m/s;
  • Rapport entre l’épaisseur du septum et celle de la paroi postérieure ≥ 1.45;
  • Gradient moyen transvalvulaire préopératoire > 50 mmHg;
  • Distance entre le point de coaptation mitrale et le septum interventriculaire < 2.6 cm;
  • Présence d’un éperon septal proéminent (épaisseur du septum > 1.5 cm);
  • Calcification de l'anneau mitral.
La sténose sous-aortique dynamique est définie par une Vmax dans la CCVG > 2.5 m/s. Là aussi, il est essentiel de calculer le gradient trans-aortique avec l’équation de Bernoulli prenant en compte la vélocité dans la chambre de chasse : ΔP = 4 • (V2totale – V2CCVG), car celle-ci (VCCVG) est largement au dessus de 1.5 m/s ; à elle seule, elle induit un ΔPmax > 25 mmHg qu’il faut soustraire du gradient total de la voie d’éjection (Vtotale) pour mesurer le gradient propre à la prothèse. Le rapport entre la vélocité dans la CCVG et celle à travers la valve (VCCVG / VVAo) est utile pour apprécier le degré d’accélération généré par la prothèse; normalement, ce rapport doit être > 0.4 [20].

La grande majorité des effets CMO après RVA se résout par un traitement médical (stop catécholamines béta, vasoconstricteur, augmentation de la volémie, béta-bloqueur), particulièrement si le chirurgien a réalisé une myectomie septale avant le remplacement valvulaire. En cas de persistance malgré un traitement maximal, la solution est une suture entre les extrémités du feuillet antérieur et du feuillet postérieur de la valve mitrale: points d'Alfieri en CEC ou clip par voie percutanée (MitraClip) [19].

Après remplacement mitral avec une bioprothèse montée, on peut rencontrer un effet CMO mécanique induit par un des 3 picots de la prothèse qui obstrue partiellement la CCVG.

Discordance de taille

La surface utile de la prothèse est trop petite par rapport à la taille du patient lorsqu'elle est < 0.85 cm2/m2 au niveau aortique ou < 1.2 cm2/m2 au niveau mitral. Ce défaut d’appariement (patient-prosthesis mismatch) donne lieu à un gradient transvalvulaire excessif et pénalise le devenir du malade. Pour un patient de taille normale (1.8 m2), la valeur minimale d’ouverture est donc 1.6 cm2 au niveau aortique et 2.0 cm2 au niveau mitral. Un orifice aortique plus petit, comme dans une prothèse mécanique ≤ 21 ou une bioprothèse montée ≤ 23, est associé à une moins bonne régression de l’HVG, à une plus faible récupération fonctionnelle et à un accroissement de la mortalité postopératoire (jusqu’à 11 fois si la surface est < 0.65 cm2/m2) [4]. L’impact de la mauvaise appariance est moins marqué chez l’individu âgé > 70 ans [8]. La mesure ETO de la dimension de l’anneau aortique ou mitral avant la CEC est capitale pour déterminer la taille de la prothèse et décider du modèle à choisir, ou pour procéder à un éventuel agrandissement de l’anneau pour éviter l’implantation d’une valve trop petite. Le calcul de la taille minimale de la prothèse est simple [16] :
 
  • En position aortique: S corporelle x 0.85 cm2; S pour un adulte normal: > 1.5 cm2;
  • En position mitrale:   S corporelle x 1.2 cm2;   S pour un adulte normal: > 2.0 cm2.
Un défaut d’appariement sévère (S aortique < 0.65 cm2/m2, S mitrale < 0.9 cm2/m2) accompagné de gradients excessifs (ΔPmoy aortique > 20 mmHg, ΔPmoy mitral > 4 mmHg) doit commander un retour en CEC pour une révision immédiate [16].

Fuite paravalvulaire

La fuite paravalvulaire (FPV) est située à l’extérieur de l’anneau prothétique (Figure 26.158). Elle survient dans 15-18% des remplacements valvulaires, à des degrés divers [10,15]. Elle est toujours pathologique, mais son impact varie selon son importance.
 
  • Les fuites triviales et mineures sont les plus fréquentes, mais elles ne sont pas significatives ; en général, elles disparaissent rapidement avec la protamine ou en quelques jours avec le dépôt de fibrine et l’endothélialisation. Elles peuvent se confondre avec les fuites d'autolavage des prothèses mécaniques ou avec les fuites normales des bioprothèses, qui sont intra-annulaires.
  • Des fuites peu importantes sont inévitables lorsque l’anneau valvulaire est très calcifié et que la congruence avec l’anneau prothétique est impossible.
  • Au niveau tricuspidien, il arrive que le chirurgien ne fixe pas la prothèse du côté septal pour éviter de léser le faisceau de His, ce qui laisse un orifice extra-annulaire.
  • Les fuites modérées-à-sévères doivent être corrigées pour autant que cela soit faisable, car elles tendent à s’aggraver avec le temps, à induire une surcharge de volume et à provoquer une hémolyse significative.
  • La tolérance vis-à-vis des FPV est plus grande pour les fuites aortiques que pour les fuites mitrales, car la vélocité est moins élevée et le risque d’hémolyse moins grand en position aortique. La tolérance est très haute pour les FPV tricuspidiennes dont la vélocité est basse.
  • Les FPV décelées immédiatement après la sortie de pompe sont liées à des problèmes chirurgicaux peropératoires, alors que celles découvertes ultérieurement sont secondaires à une déhiscence des sutures et souvent accompagnées d'une instabilité mécanique de la prothèse (rocking motion).
  • Les fuites para-annulaires après plastie mitrale et pose d'un anneau prothétique génèrent les mêmes problèmes et donnent les mêmes images échocardiographiques.
  • Les fuites paravalvulaires majeures ne doivent pas être confondues avec une insuffisance intra-valvulaire due à une non-fermeture d'ailette, à une déchirure ou à une perforation de feuillet.


Figure 26.158 : Schéma de la fuite valvulaire. A : fuites normales d’autolavage d’une prothèse mécanique bi-ailette en position mitrale ; jets fins, intravalvulaires, parallèles ou en bouquet, pas de zone d’accélération. B : schéma montrant que la fuite paravalvulaire est située entre l’anneau de la prothèse et l’anneau anatomique de la valve (*), alors que les fuites d’autolavage (FAL) sont à l’intérieur de la valve. Une FPV importante présente une zone d’accélération concentrique (PISA) sur le versant ventriculaire.

Face à une fuite paravalvulaire, les deux premières questions auxquelles doit répondre l'anesthésiste-échocardiographeur sont: 1) quelle est son importance? et 2) quelle est son origine? [11]. Les fuites paravalvulaires importantes présentent des signes caractéristiques (Vidéos et Figure 26.159). Pour les quantifier, la limite de Nyquist est fixée à 0.5-0.6 m/s; la fenêtre couleur est rétrécie et la profondeur de champ restreinte pour augmenter la cadence d'images (Tableau 26.16).
 
  • Passage libre localisable en imagerie 2D à l’extérieur de l’anneau (signe inconstant).
  • PISA sur la face d’amont.
  • Passage visible au Doppler couleur autour de l’anneau valvulaire.
  • Vena contracta ≥ 0.3 cm.
  • Large jet tourbillonnaire d’aval de haute vélocité, souvent excentrique, s'étendant dans la chambre de réception.
  • En court-axe, présence d'un ou de plusieurs tourbillons diastoliques localisés sur le pourtour de l'anneau.
  • L'imagerie 3D avec reconstruction d'une vue "en-face" de la valve permet de mesurer l'étendue du ou des orifice(s) paravalvulaire(s) (Figure 26.160). Une fuite sévère représente > 25% de la circonférence de la valve (fuite modérée : 10-25%, fuite mineure : < 10%) [20]. L'imagerie X-plane de 2 plans orthogonaux est également très utile.


    Vidéo: fuite paravalvulaire antérieure après remplacement valvulaire mitral.


    Vidéo: fuite paravalvulaire inférieure sévère après RVM.


    Vidéo: fuite paravalvulaire postérieure majeure tournoyant dans l'OG, accompagnée d'une petite fuite intravalvulaire.
     


Figure 26.159 : Images ETO de fuites paravalvulaires (FPV). A: FPV aortique en court-axe ; deux fuites situées autour de l’anneau prothétique (flèche) à 3 heures et à 7 heures ; persistance d’un flux en diastole par les orifices paravalvulaires. B : fuite para-annulaire en 3D; la flèche indique l'orifice dans la région postérieure droite de l'anneau. C: FPV majeure après remplacement valvulaire mitral; zone d'accélération concentrique côté ventriculaire. D : FPV majeure après remplacement valvulaire aortique. E : FPV antérieure après bioprothèse mitrale; une petite fuite physiologique est visible à l’intérieur de l’anneau prothétique (flèche). F : FPV mitrale postérieure sévère sur une prothèse mécanique.
 


Figure 26.160 : Images 3D de fuite para-annulaire. A : orifice de régurgitation para-annulaire à l’extérieur d’un anneau de Carpentier après plastie mitrale (vue ETO 3D depuis l’OG). B : occlusion d’une fuite paravalvulaire par un dispositif utilisé pour la fermeture de CIA. Deux dispositifs sont en place (occluders), l’un étant encore suspendu à son guide (vue ETO 3D depuis l’OG).
 

La localisation d’une fuite paravalvulaire en imagerie bidimensionnelle n’est pas toujours aisée, mais elle est facilitée par une observation très systématique.
 
  • Après remplacement valvulaire mitral (RVM): rechercher les FPV sur tout le pourtour de la prothèse en plaçant la fenêtre couleur au niveau de l’angle mitro-aortique en vue 4-cavités et en tournant l’angle du capteur de 0° à 180° tout en maintenant la fenêtre sur la partie gauche de la prothèse à l’écran. Placer ensuite la fenêtre de l’autre côté de la valve et revenir de 180° jusqu’à 0° en maintenant la fenêtre sur le bord droit de la prothèse à l’écran.
  • Les vues 4-cavités 0°, bicommissurale 60°, 2-cavités 90° et long-axe 120-140° déterminent 4 plans qui visualisent huit quadrants de l’anneau définissant la localisation de la fuite (Vidéos et Figure 26.161); la position de l’appendice auriculaire gauche, de la valve tricuspide et de la valve aortique sont des repères supplémentaires.
  • Après remplacement valvulaire aortique (RVA): rechercher les FPV en long-axe mi-œsophage 120° (IA paravalv longaxe, IA paravalv longaxe) et transgastrique 0° ou 120°. La vue court-axe 40° de la prothèse aortique permet de voir où se trouve la fuite sur le pourtour de l’anneau prothétique, sous forme de tourbillons diastoliques (voir ci-dessus Figure 26.158A) (Vidéos).
  • Après endoprothèse aortique par trans-cathétérisme (TAVI): le taux de FPV est de 12-14% (voir Chapitre 10, TAVI) [1].


    Vidéo: fuite paravalvulaire antérieure sévère après RVM.


    Vidéo: fuite para-annulaire postérieure importante après plastie mitrale.


    Vidéo: fuite paravalvulaire à la jonction mitro-aortique après remplacement valvulaire aortique.


    Vidéo: fuite paravalvulaire après RVA en vue court-axe; pendant toute la diastole, il persiste un flux par deux orifices situés à 3 heures et à 7 heures.
     


Figure 26.161 : Les 4 plans transoesophagiens standards permettent de définir huit quadrants de l’anneau mitral, ce qui assure une localisation efficace d’une fuite paravalvulaire ; l’appendice auriculaire gauche (AAG), la valve aortique et la valve tricuspide sont des repères supplémentaires. Les plans orthogonaux de l’organisme (0° et 90°) sont en rouge et les plans orthogonaux de la valve mitrale en vert (60° et 120-140°). La prothèse mécanique mitrale est représentée en position anti-anatomique (perpendiculaire à l'axe de la commissure native).

La nouvelle technologie tridimensionnelle facilite grandement la tâche pour localiser les orifices de fuite (Vidéo et Figure 26.160). La localisation des fuites est très importante, car le chirurgien peut avoir de la peine à mettre en évidence l'orifice dans le champ opératoire lorsque le cœur est flaccide; de plus, la brèche est en général située sous l'anneau prothétique.


Vidéo: orifice de fuite paravalvulaire mitrale mis en évidence par la reconstruction 3D vue depuis l'OG.


Vidéo: fuite para-annulaire après plastie mitrale en vue 3D depuis l'OG; l'orifice est situé à 2 heures.

La troisième question est celle du retour en pompe. La décision de retourner en CEC pour occlure l’orifice paravalvulaire n’est pas fondée que sur l’image ETO mais sur une série de contingences : valve incriminée, état de l’anneau, faisabilité chirurgicale de la réparation, risque clinique d’une deuxième CEC, etc. Si la chirurgie est trop risquée, il est possible de réduire ultérieurement une fuite paravalvulaire au moyen d’un dispositif d’occlusion utilisé pour fermer les CIA (occluder type Amplatzer™). Lorsqu'elles surviennent sur une prothèse sans suture (Perceval™) ou sur une endoprothèse percutanée (TAVI), ces fuites peuvent être gérées par repositionnement de la valve ou dilatation au ballon pour améliorer le contact avec la paroi [7]. Si la situation le permet, une seconde CEC est justifiée pour des FPV modérées-à-sévères ou sévères, soit environ 6% des cas [6]. Dans une série de 608 patients avec une FPV ≤ modérée immédiatement après CEC, la moitié des régurgitations a disparu après 6 semaines et seul 1 cas a empiré [15]. Il est donc difficile de fixer des règles pour une reprise chirurgicale si la fuite n'est pas d'emblée modérée-à-sévère ou sévère.

Examen d'une prothèse aortique

Une prothèse aortique normale donne une image de sténose légère, avec une Vmax 2-3 m/s et un gradient de pression moyen de 6 à 20 mmHg selon le type de prothèse et selon sa taille. L'image spectrale du flux Doppler continu présente une forme triangulaire avec un pic précoce (durée d'accélération < 80 msec) et un rapport ITVCCVG/ITVVAo ≥ 0.4. La surface d'ouverture calculée par l'équation de continuité (SVAo = (SCCVG • ITVCCVG) / ITVVAo) est en général ≥ 1.3 cm2, mais elle doit être référencée au type de valve concerné. Lorsque la prothèse est sténosante, la Vmax dépasse 3 m/s et le gradient moyen 30 mmHg. Le flux prend une allure arrondie avec un pic de vélocité mésosystolique (durée d'accélération > 80 msec) (Figure 26.162) (Tableau 26.17) [12].



Figure 26.162 : Schéma du flux Doppler continu en cas de sténose aortique (position transgastrique). A: flux d'une sténose aortique mineure avec un temps d'accélération court (< 30% de la durée d'éjaction), une forme triangulaire et un pic protosystolique. B: flux d'une sténose aortique serrée avec un flux arrondi, un temps d'accélération long (> 40% de la durée d'éjection) et un pic mésosystolique. C: flux d'une sténose sous-aortique dynamique (SSAoD); le flux démarre normalement mais s'accélère après un décrochage de la pente traduisant la baisse soudaine du volume systolique (subobstruction de la CCVG). Le pic de flux est télésystolique; la phase d'accélération dure > 70% de la durée d'éjection.
 

Un rapport ITVCCVG/ITVVAo ≤ 0.25 et une surface d'ouverture < 1 cm2 signent une sténose serrée inacceptable [20]. Comme ces mesures peuvent conduire à une reprise en CEC, il est capital de tenir compte de la fonction du VG. Une défaillance gauche se traduit par une durée d'accélération allongée, mais une Vmax abaissée et un gradient diminué qui peuvent laisser supposer que la prothèse présente une surface d'ouverture suffisante. Au contraire, un VG hyperdynamique entraine un excès de vélocité et de gradient, mais avec une durée d'accélération brève et un rapport ITVCCVG/ITVVAo > 0.4.

La présence d'un jet diastolique tourbillonnant dans la CCVG alerte sur la probabilité d'une régurgitation. La quantification d'une fuite résiduelle n'est pas aisée en vues mi-œsophage long-axe ou court-axe à cause de l'ombre portée par l'armature de la prothèse sur la chambre de chasse et sur les feuillets. Bien que la valve y soit plus éloignée du capteur, les vues transgastriques profonde à 0° ou long-axe à 120° sont plus adéquates pour mesurer le diamètre la vena contracta (critères identiques à ceux d'une fuite dans une valve native, voir Tableau 26.6). Outre l'évaluation de l'importance de l'insuffisance, la question de son origine intra- ou para-valvulaire est capitale, mais pas toujours aisée à résoudre. Dans le premier cas, la fuite est en général centrale, alors que dans le second elle est plutôt excentrique, mais le prolapsus d'une prothèse stentless mal ajustée peut également occasionner une fuite excentrique bien qu'intravalvulaire. La présence d'une zone d'accélération concentrique (PISA) en amont de la prothèse parle pour une fuite importante.

Examen d'une prothèse mitrale

Une prothèse mitrale normale présente une Vmax ≤ 1.9 m/s (valve mécanique) à ≤ 2.4 m/s (bioprothèse) et un gradient moyen ≤ 5 mmHg. Dans les prothèses à double ailette, le gradient doit être mesuré à travers les larges orifices latéraux et non à travers la fente rectangulaire centrale, où le flux est accéléré. Le temps de demi-pression (Pt1/2) n'est applicable que lorsque la surface est sténosée (≤ 1.5 cm2); il ne permet pas le calcul de la surface d'ouverture dans les prothèses. L'équation de continuité est préférable, en prenant pour référence le volume systolique dans la CCVG pour autant qu'il n'y ait ni insuffisance aortique ni insuffisance mitrale: SVmitr = (SCCVG • ITVCCVG) / ITVVMitr. Le rapport entre l'intégrale des vélocités à travers la prothèse mitrale et l'intégrale des vélocités dans la CCVG (ITVVMitr / ITVCCVG) est l'inverse du rapport utilisé pour la valve aortique, mais il remplit la même fonction: mesurer le rétrécissement mitral indépendamment des conditions hémodynamiques; il est normalement < 2.2 (≥ 2.5 en cas de sténose sévère) [9]. Une Vmax > 2.0 m/s, un gradient moyen > 6 mmHg et une surface ≤ 1.5 cm2 sont les signes d'une sténose probable [12]. Une sténose sévère répond aux mêmes critères que ceux d'une valve native: Vmax > 2.5 m/s, gradient moyen > 10 mmHg, ITVVMitr / ITVCCVG > 2.5, Pt1/2 > 220 ms, et surface effective < 1 cm2 (Tableau 26.17). Comme les prothèses sont circulaires, l'équation de continuité et le diamètre de la vena contracta s'appliquent dans les régurgitations; ici aussi, les critères pour une insuffisance sévère sont les mêmes que dans le cas d'une valve native. Toutes ces mesures présupposent que le status hémodynamique est normal, la volémie adéquate et la fréquence cardiaque stable.

Une insuffisance excessive est en général causée par le blocage partiel d'une ailette par l'appareil sous-valvulaire ou par une fuite paravalvulaire. Les critères pour considérer l'IM prothétique comme sévère et nécessitant une réintervention sont une surface de l'orifice de régurgitation ≥ 0.5 cm2, un volume régurgité ≥ 60 mL, un large PISA et un jet recouvrant > 40% de la surface de l'OG. La fuite est considérée comme mineure si la surface de l'orifice de régurgitation est < 0.2 cm2, le volume régurgité < 30 mL, le PISA minime ou absent, et si le jet recouvre < 20% de la surface de l'OG [30]. Le fort gradient de pression entre le VG et l'OG en systole et l'écoulement du jet de régurgitation contre du matériel prothétique donnent lieu à une forte hémolyse à long terme, allant jusqu'à nécessiter des transfusions itératives. Ce phénomène est un argument fort en faveur d'une réintervention ultérieure.

Examen d'une prothèse tricuspidienne

Le flux à travers la tricuspide est hautement dépendant de la ventilation, ce qui oblige à procéder à toutes les mesures en apnée. La Vmax du flux E est d'environ 1.0 m/s et le gradient moyen de 2-3 mmHg dans une prothèse fonctionnant normalement. La prothèse est considérée comme sténosée si la Vmax du flux E est > 1.7 m/s, le gradient moyen ≥ 6 mmHg et le Pt1/2 ≥ 230 msec [12]. L'équation de continuité permet de calculer la surface d'ouverture en prenant comme référence le volume systolique dans la CCVG pour autant qu'il n'y ait aucune insuffisance valvulaire; en présence d'une IA et en l'absence d'IT, on peut utiliser la mesure du volume systolique dans la chambre de chasse du VD ou à travers la valve pulmonaire.

Implantation valvulaire aortique

Ce sujet est traité au Chapitre 27 (Chirurgie à cœur battant) : Endoprothèses valvulaires (TAVI).

 
Examen ETO après implantation de prothèse valvulaire
Conditions hémodynamiques normales (pression artérielle > 80 mmHg, volémie et fonction ventriculaire satisfaisantes)
Evaluation de la prothèse dans tous les plans possibles, en modifiant le gain selon besoin
Mouvements des 2 ailettes ou des 3 cuspides visibles dans le même plan
Fuites physiologiques (jets fins, intravalvulaires, extension < 2 cm)
Calcul des gradients (ΔPmax et ΔPmoy) à partir de la Vmax et de l'ITV. D'une manière générale, une Vmax > 3 m/s dans les prothèses et > 2 m/s dans les homogreffes est considérée comme suspecte de sténose.

En position mitrale
    - Contraction de la paroi latérale
    - Flux dans les veines pulmonaires
    - Fuite aortique nouvelle
    - Discordance patient-prothèse si S < 1.2 cm2/m2 ; si discordance sévère (S < 0.9 cm2/m2): révision immédiate en CEC

En position aortique
      - Mesure de la Vmax dans la CCVG et recherche de SAM (risque de sténose dynamique)
      - Mesure de la Vmax dans la cavité ventriculaire
      - Discordance patient-prothèse si S < 0.85 cm2/m2 ; si discordance sévère (S < 0.65 cm2/m2): révision immédiate en CEC
      - Fuite mitrale nouvelle
      - Flux coronarien (TC et CD)
      - Si myectomie/myotomie de la CCVG : recherche de CIV

Fuite paravalvulaire significative (à l’extérieur de l’anneau valvulaire)
    - Passage visible autour de la valve (prothèse mitrale : balayage 0-180° en position rétro-cardiaque, prothèse aortique : court-axe 40°)
    - Jet de forme et de direction variable (≥ 2-3 cm)
    - PISA côté d’amont
    - Largeur du jet ≥ 0.3 cm

Une obstruction dynamique de la CCVG par déplacement en avant du feuillet mitral antérieur survient fréquemment lorsque certaines circonstances sont réunies :
    - Levée de l'obstacle d'une sténose aortique (RVA)
    - Plastie mitrale restrictive (anneau très réducteur)
    - Diminution de la cavité du VG (hypovolémie, HVG concentrique sévère)
    - Baisse de postcharge (vasoplégie, CPIA)
    - Excès de stimulation catécholaminergique β


© CHASSOT PG, BETTEX D. Octobre 2011, Juin 2019; dernière mise à jour, Mars 2020


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