5.9.2 Remodelage ventriculaire

Le cœur adulte pèse 250-280 gm (0.6% du poids corporel) ; sa limite de masse est d'environ 500 gm ; au-delà, le réseau coronarien devient insuffisant. Le myocarde est capable d’une remarquable plasticité. Il varie sa masse de 25-50% en quelques semaines. Celle d’un athlète entraîné dépasse de 60% celle d’un individu normal, alors que le repos forcé d’un paraplégique la diminue de 30% ; dans l’espace, la masse du VG baisse de 1% par jour à cause de l’apesanteur [15]. Sauf situations exceptionnelles, les myocytes (environ 109 chez le jeune adulte) ont la même durée de vie que l’organisme [1]. A partir de la quarantaine, toutefois, une partie dégénère progressivement et se voit remplacée par des fibrocytes et de la fibrose intersticielle. Alors que la proportion myocyte/fibrocyte est de 60/40 chez le jeune adulte, elle est inversée à 75 ans. On perd ainsi environ 1 gm de myocarde (15-45 millions de myocytes) par an dès l'âge de 20 ans; ce phénomène est compensé par l’hypertrophie des cellules myocardiques restantes [24,25].
 
Hypertrophie
 
Face à une augmentation de précharge (surcharge de volume) ou de postcharge (surcharge de pression), le VG s’adapte en s’hypertrophiant (HVG, hypertrophie ventriculaire gauche). Des senseurs mécaniques situés probablement dans les disques Z des myofibrilles sont à l’origine d’une cascade de signaux biochimiques conduisant à une synthèse protéique accrue (transcription génique et synthèse de mRNA augmentées) [9]. Les cellules myocardiques s’hypertrophient et s’épaississent par réplication en parallèle des sarcomères (HVG concentrique) dans le cas d’une surcharge chronique de pression, alors qu’elles s’allongent par réplication en série des sarcomères (HVG dilatative) dans le cas d’une surcharge de volume. La tension longitudinale sur la paroi est probablement le moteur premier de l’HVG dilatative, alors que l’augmentation de pression contre la paroi induit une HVG concentrique [32]. Les cellules cardiaques adultes ne peuvent pas s’hyperplasier (augmentation du nombre de cellules), mais seulement s’hypertrophier (augmentation de la taille des cellules). Les fibroblastes et les cellules vasculaires (endothélium, musculature lisse) ont par contre la faculté de s’hyperplasier même à l’âge adulte. Cette absence d’hyperplasie des cardiomyocytes a été remise en question récemment, avec la découverte de cellules myocardiques capables de se multiplier. Néanmoins, les cellules souches cardiaques sont incapables de proliférer au point de remplacer la masse nécrosée dans un infarctus [7].
 
De manière simplifiée, on considère deux types d'hypertrophie: l'HVG physiologique et l'HVG pathologique [23].
 
  • L'HVG physiologique reste une hypertrophie modérée et réversible, au cours de laquelle la performance myocardique par unité de masse est conservée ou sensiblement améliorée. Elle est typique de la grossesse et de l'entraînement sportif d'endurance. C'est un processus adaptatif qui accroît la fonction systolique.
  • L'HVG pathologique est de plus grande ampleur; elle est accompagnée d'une dysfonction diastolique et peut progresser vers la décompensation et l'insuffisance cardiaque. A son origine, on trouve des états pathologiques: hypertension artérielle, sténose aortique, insuffisance valvulaire, cardiomyopathies, infarctus. L'obésité et le diabète sont des comorbidités fréquentes. Les gènes codant le métabolisme du Ca2+ sont altérés, l'expression de gènes fœtaux est réactivée, la fibrose est importante, le collagène est en excès, les mitochondries dysfonctionnent, et l'angiogenèse est insuffisante.
Le rapport entre l’épaisseur de paroi du VG et le rayon de la cavité ventriculaire (h/r), ou épaisseur de paroi relative (EPR), est normalement situé entre 0.3 et 0.45, ce qui correspond à un rapport entre la masse et le volume du VG (M/V) de 1.0 à 1.5 [12]. Ces valeurs sont constantes chez tous les mammifères, quelle que soit leur taille. On peut ainsi considérer 5 catégories de pathologies [12].
 
  • Remodelage concentrique :       EPR élevé (> 0.45), masse et taille normales;
  • Hypertrophie concentrique :      EPR élevé, masse élevée, taille normale; 
  • Hypertrophie physiologique :    EPR normal, masse élevée, dilatation;
  • Remodelage excentrique :         EPR bas (< 0.32), masse normale, dilatation; 
  • Hypertrohie excentrique :          EPR bas (< 0.32), masse élevée, dilatation. 
L’accroissement de la masse du VG est un facteur de risque opératoire. Par rapport à sa valeur normale (50-115 g/m2), la masse du VG élève la mortalité à 30 jours après chirurgie cardiaque de 15% par 20 g/m2 au dessus de la norme (mortalité relative) [35]. La cicatrice d’un infarctus est également une cause de remodelage ventriculaire : la zone envahie de fibrocytes ne se contracte plus, et le myocarde voisine développe une hypertrophie compensatrice [7]. 
 
L’angiotensine II est un des agonistes principaux parmi les nombreux déterminants moléculaires de l’HVG. Elle stimule la croissance cellulaire par le biais de la protéine Gq et la protéine-kinase C ; elle stimule la production de facteurs de croissance (endothéline, Transforming growth factor) qui vont accroître la masse des fibroblastes et du collagène [27]. La calcineurine, essentielle à la croissance de l’HVG, est liée au métabolisme calcique de la cellule [28]. Dans l’HVG, celui-ci est caractérisé par une diminution des variations du taux de Ca2+ sarcoplasmique : baisse de la densité des récepteurs β, baisse de l’activité de la SERCA, défauts des récepteurs R-Ry (voir Figures 5.1, 5.2 et 5.3). A masse égale, le myocarde hypertrophié est moins efficace que le myocarde normal. La stimulation de l’HVG est à double tranchant, parce que tous les déclencheurs de croissance sont aussi des facteurs favorisant la fibrose et l’apoptose à partir d’un certain seuil [14]. De ce point de vue, l’HVG concentrique est de mauvais pronostic. Il n’est donc pas surprenant qu’elle soit considérée comme un facteur de risque cardiovasculaire indépendant pour l’insuffisance cardiaque et l’ischémie myocardique [8]. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les bloqueurs du récepteur de l’angiotensine (sartans) ont la propriété de freiner le remodelage ventriculaire. Malheureusement, le collagène déjà formé ne régresse jamais.
 
Cœur d’athlète
 
La grossesse double le débit cardiaque (DC), et la compétition sportive réclame une augmentation de 5 à 6 fois du DC par rapport au débit normal. L’élévation du DC est réalisée grâce à la tachycardie, mais l’entraînement chronique aérobique permet d’augmenter progressivement le volume systolique. Cette dernière situation induit une hypertrophie ventriculaire de type excentrique, dans laquelle la taille et la masse du VG sont augmentées mais le rapport EPR est encore normal [12]. Le volume télédiastolique est augmenté, la fonction diastolique est améliorée dans le VG et le VD, et les oreillettes sont agrandies [2]. L’entraînement d’endurance conduit également à un remodelage excentrique du ventricule droit [3]. Ces modifications correspondent à un exercice de type isotonique (course, cyclisme). Dans l’exercice isométrique (poids et altères), au contraire, l’élévation du DC est modeste mais les résistances artérielles et la pression systolique sont augmentées ; l’hypertrophie ventriculaire est alors de type concentrique, et la fonction diastolique est diminuée [2]. 
 
La frontière entre le remodelage adaptatif normal et la cardiomyopathie hypertrophique est floue ; d’ailleurs, de nombreux cyclistes professionnels souffrent ultérieurement d’une cardiomyopathie dilatative grave. Les arythmies sont fréquentes chez les athlètes : extrasystoles, épisodes de tachycardie ventriculaire, tachyarythmies sus-jonctionnelles, troubles de la conduction. Elles sont bénignes tant qu’elles cèdent à l’effort. La mort subite du sportif est le plus souvent liée à une cardiomyopathie hypertrophique, à un syndrome de Wolf-Parkinson-White ou du QT long, plus rarement à une cardiomyopathie arythmogène du VD, à un syndrome de Brugada, à une anomalie coronarienne ou à une valvulopathie (bicuspidie aortique, prolapsus mitral) (voir Adaptation à l’effort et Chapitre 20 Arythmies dangereuses) [3].
 
Surcharge de pression 
 
Une augmentation chronique de postcharge (sténose aortique, hypertension artérielle systémique ou pulmonaire) élève la tension de paroi en systole. Elle induit une réplication en parallèle des sacromères, une augmentation du collagène et une fibrose non-réversible, qui aboutissent à un remodelage et à une hypertrophie concentriques [34]. Le rapport entre l’épaisseur de paroi du VG et le rayon de la cavité ventriculaire (EPR) est > 0.5 [12]. Selon l’équation de Laplace, l'épaississement de la paroi (h) et le rétrécissement de la cavité ventriculaire (r) normalisent le stress de paroi (σ) malgré l’augmentation de pression (P) (Vidéo et Figure 5.106A): 

         σ = (P • r) / 2 h  


Vidéo: vue transgastrique court-axe d'un ventricule gauche présentant un hypertrophie concentrique massive; la cavité du VG est réduite.
 
 

Figure 5.106 : Hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) et loi de Laplace. A : HVG concentrique (surcharge de pression). L’augmentation de pression (P) est compensée par une diminution du rayon (r) de la cavité et une augmentation de l’épaisseur (h) de la paroi ventriculaire. Le stress de paroi est stable. B : HVG excentrique ou dilatative (surcharge de volume). Le rayon augmente sans augmentation de pression, ce qui est compensé par une augmentation de l’épaisseur de paroi. C : Phase de décompensation. Pression et dimensions du VG augmentent au-delà de ce que peuvent compenser les mécanismes physiologiques.
 
Bien qu’il reste normal, le pic du stress de paroi est décalé vers la télésystole: le pic de pression intraventriculaire est atteint dans la deuxième moitié de la systole [12]. La fraction d'éjection est élevée à cause du petit volume télésystolique (Vts) et non par amélioration de la contractilité. Même si la performance cardiaque globale est élevée, les fibres isolées sont désorganisées et noyées dans le tissu fibreux ; leur métabolisme est orienté vers la glycolyse seule ; elles ont une fonction diminuée, et le travail produit par unité de masse contractile est inférieur à la normale [15]. L’augmentation massive de la masse cellulaire dans l'hypertrophie concentrique a un double coût.
 
  • Une augmentation du risque ischémique, car le nombre de capillaires par rapport à la masse myocardique est diminué, les distances de transport d'O2 sont augmentées vu l'épaisseur du muscle, et la compression systolique des vaisseaux est plus intense [14]. La zone sous-endocardique, en particulier, est en permanence sub-ischémique. La mVO2/100 gm est 50% plus élevée que pour le muscle normal [30], alors que le nombre de mitochondries est relativement plus faible par rapport à la masse cellulaire et que la surface capillaire décroît par rapport au volume myocardique.
  • Une dysfonction diastolique avec défaut de relaxation et de distensibilité due à la rigidité de la paroi épaissie et fibrosée, et aux altérations des mouvements calciques intracellulaires [11]. La dysfonction diastolique entraîne une augmentation des pressions de remplissage qui maintiennent une pression télédiastolique (PtdVG) élevée dans le ventricule, compromettant encore davantage la perfusion sous-endocardique. La tachycardie et la bradycardie limitent le remplissage du ventricule.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes du récepteur AT-II (ARA) ont la propriété de freiner le remodelage ventriculaire [20]. A même degré de contrôle de la pression artérielle, leur effet sur la régression de l’HVG est plus marqué que pour les β-bloqueurs, ce qui démontre bien leur capacité à interférer avec la progression de l’hypertrophie et de la fibrose [19]. 
 
La symptomatologie débute à l'effort parce que la rigidité du myocarde l'empêche de se déplacer sur la courbe de Franck-Starling en augmentant son remplissage, et parce que la tachycardie limite le remplissage du ventricule. La décompensation survient lorsque le ventricule commence à se dilater: la tension de paroi réaugmente, ce qui contribue à la dilatation, et le phénomène s'auto-amplifie jusqu'à la phase terminale (Figure 5.106C). 
 
Une brusque diminution du volume de la cavité ventriculaire en cas d'HVG concentrique peut donner lieu à une obstruction dynamique de la chambre de chasse (effet CMO) en l’absence de cardiomyopathie obstructive : le Vts devient tellement faible que la zone de coaptation mitrale est déplacée antérieurement vers la chambre de chasse du VG (CCVG), si bien que le feuillet antérieur de la valve mitrale peut basculer en avant vers la CCVG (voir Figure 5.28). Par effet Venturi, l'accélération dans la chambre de chasse aspire secondairement le feuillet antérieur de la valve mitrale (SAM: systolic anterior motion), ce qui crée une obstruction sous-valvulaire à l'éjection (voir Contraction du VG). Le gradient de pression entre le VG et l'aorte est élevé (> 30 mm Hg). Le phénomène est amplifié par l’hypovolémie, la vasodilatation artérielle et la stimulation inotrope. Le traitement est une diminution de l’effet β (β-bloqueur), une augmentation des RAS (α-stimulant) et une augmentation de la volémie (remplissage) [21].
 
Surcharge de volume
 
L'augmentation chronique de volume (insuffisance valvulaire, shunt, thyréotoxicose) élève la tension de paroi pendant la diastole ; elle induit une réplication en série des sarcomères (hypertrophie dilatative) (Vidéo).


Vidéo: vue mi-oesophagienne 4-cavités d'un ventricule gauche présentant une hypertrophie dilatative due à une surcharge de volume induite par une communication interventriculaire (CIV adulte).

L'accroissement des dimensions de la cavité ventriculaire est momentanément compensé par un épaississement discret de cette paroi. La valeur de l'équation de Laplace est stable, mais la FE calculée est abaissée puisque le Vtd est agrandi (Figure 5.106B). La paroi ventriculaire est moins épaisse, le développement du collagène est moindre, et le travail interne de pression n'est pas augmenté comme dans l'HVG concentrique. L’efficience énergétique du VG est bonne, parce qu’il déplace un grand volume à basse pression (augmentation du travail externe) ; le rapport entre l'apport et la demande d'O2 est préservé. Une surcharge de volume est mieux tolérée qu'une surcharge de pression (voir Relation Pression/Volume et Figure 5.54). La fonction diastolique est conservée, la relaxation est facilitée et le ventricule garde sa souplesse. Le rapport entre l’épaisseur de paroi du VG et le rayon de la cavité ventriculaire (EPR) est normal tant que la situation est compensée, mais l’évolution conduit progressivement à une dilatation hors de proportion avec la masse du VG et le rapport EPR baisse < 0.3 [12]. Si la dilatation continue, la tension de paroi augmente sans compensation possible.
 
  • La compliance devient faible parce que le ventricule opère à haut volume.
  • Le couplage interventriculaire est 1/1 lorsque les ventricules sont au contact du péricarde ; ceci survient lorsque la PtdVD est ≥ 12 mmHg et la PtdVG ≥ 18 mmHg ; toute modification de pression ou de volume d'un ventricule retentit sur l'autre.
  • La bradycardie est mal supportée car une longue diastole provoque un excès de remplissage ; elle est particulièrement dangereuse en cas de dilatation sur insuffisance aortique parce que la fuite intraventriculaire a lieu au régime de pression diastolique aortique.
  • L’augmentation de postcharge n’est pas tolérée parce qu’elle augmente la dilatation.
  • La dilatation ventriculaire ne permet plus aux deux feuillets mitraux de coapter et la valve fuit ; l'importance de cette régurgitation mitrale est un bon marqueur du degré de décompensation ventriculaire (Figure 5.107).
  • La dilatation du VG est définie par un diamètre télédiastolique > 4 cm/m2 (Vtd > 60 mL/ m2).
 

Figure 5.107 : Insuffisance mitrale (IM) modérée lors de dilatation ventriculaire. A : schéma de l’IM dite restrictive. Le volume télésystolique agrandi du VG dilate l’anneau mitral (1), écarte les piliers (2) et exerce une traction excessive (3) sur les cordages (en jaune) de la valve mitrale ; cette traction retient les feuillets de la valve en dessous du plan de l’anneau (traitillé blanc) et empêche la coaptation normale des feuillets : la valve fuit. B : image échocardiographique transoesophagienne d’une IM restrictive. Le VG est dilaté, arrondi, les feuillets sont retenus en dessous du plan de l’anneau en systole.
 
De l'hypertrophie à la décompensation
 
La phase de décompensation survient lorsque le rayon augmente au-delà de ce que l'hypertrophie peut compenser. Comme l'augmentation de diamètre du ventricule accroit le stress de paroi, un cercle vicieux s'installe. Le myocarde hypertrophié est très sujet à l'ischémie, potentialisée par une augmentation de la mVO2 par unité de poids [29]. La réserve coronarienne étant très diminuée dans les zones sous-endocardiques où la tension de paroi est maximale; cette partie du coeur subit des épisodes infracliniques itératifs d'ischémie, pouvant conduire à un certain degré de fibrose [16]. Une fois formé, le collagène ne disparaît plus, et devient un élément majeur dans la non-distensibilité diastolique du ventricule et dans le frein à la diffusion transcapillaire de l'oxygène. 
 
Le VG insuffisant consomme davantage d’O2 par unité de masse et de travail fourni par rapport à un coeur normal. Cela est lié à deux phénomènes  [26].
 
  • Augmentation du travail interne de pression par rapport au travail externe d’éjection à cause de  la dilatation ventriculaire et/ou de l’élévation de la postcharge.
  • Dépendance accentuée de la glycolyse au détriment de la voie des acides gras libres, bien que l’utilisation des deux types de substrats soit globalement diminuée. 
La dysfonction systolique du ventricule entraîne sa dilatation et l'amincissement de sa paroi, ce qui le pénalise doublement selon l'équation de Laplace (σ = (P•r)/2h): le stress de paroi augmente parce que le rayon (r) s'élève et parce que l'épaisseur (h) diminue [17]. La dilatation liée à l’insuffisance ventriculaire fait perdre au VG sa forme ellipsoïde normale pour devenir sphérique [6]. Ce remodelage est une catastrophe mécanique pour le cœur.
 
  • Les faisceaux longitudinaux hélicoïdaux deviennent circulaires, ce qui augmente leur stress de paroi et supprime le raccourcissement dans le long-axe du ventricule.
  • La rotation systolique et la succion diastolique du ventricule sont perdues.
  • La musculature circulaire est distendue, la tension de paroi s'élève (loi de Laplace).
  • La perte de la forme elliptique modifie la géométrie de l’appareil sous-valvulaire mitral et provoque une insuffisance mitrale, parce que la dilatation tire excessivement sur les cordages et empèche les feuillets mitraux de rejoindre leur point de coaptation en systole (voir Figure 5.107). L'importance de cette régurgitation est un bon marqueur du degré de décompensation ventriculaire. Elle est associée à une aggravation de morbi-mortalité indépendante de la valeur de la fraction d'éjection
La sphéricisation du VG altère donc gravement ses capacités de remplissage et de vidange. Ainsi le degré de dilatation du VG (diamètre télédiastolique ≥ 4 cm/m2, volume télésystolique ≥ 60 mL/m2) est directement corrélé à la mortalité à cause d'une série de déséquilibres [17,22].
 
  • La tension de paroi augmente sans compensation possible.
  • La compliance est faible parce que le ventricule opère à hauts volumes.
  • La bradycardie est mal supportée car une longue diastole provoque un excès de remplissage et dilate encore la cavité.
  • L’augmentation de postcharge n’est pas tolérée parce qu’elle augmente la dilatation.
  • L'insuffisance mitrale surajoute une surcharge de volume.
  • L'élévation des pressions de remplissage entraîne une dilatation auriculaire, avec un risque de passage en FA (perte du "kick" auriculaire).
  • La dilatation et la sphéricisation du VG modifient la répartition de la stimulation électrique. Le QRS est élargi (> 150 msec); il s'installe une désynchronisation qui détériore la performance contractile.
Le myocarde du ventricule défaillant subit une série de dégradations: perte de myocytes, désensibilisation des récepteurs béta, perte de myofilaments et de protéines contractiles, altération du cytosquelette protéique, diminution des chaines d'α-myosine et augmentation des chaines de β-myosine, baisse d'amplitude des variations de la [Ca2+]i, déplétion du reticulum sarcoplasmique en Ca2+], surexpression du phospholamban et sous-expression de la SERCA (voir Figure 5.8) [13].
 
Hypertrophie ventriculaire droite
 
Le VD est une excellente pompe-volume qui maintient son débit malgré des variations importantes de sa précharge. Il est par contre une piètre pompe-pression car il est couplé normalement à un système artériel à basse résistance; une augmentation de postcharge baisse son éjection. Lorsque cette postcharge augmente de manière chronique et progressive comme dans l'hypertension pulmonaire, l’adaptation du VD se fait par une hypertrophie concentrique et une transformation vers une forme plus arrondie qui le rendent davantage dépendant de la précharge et moins de la postcharge. La plasticité du VD est élevée, puisque l’hypertrophie débute quelques heures déjà après l’élévation de la PAP; sa masse augmente jusqu’à 6 fois [5] La proportion de raccourcissement circulaire s'accroît par rapport au raccourcissement longidutinal. Cette adaptation lui permet d'augmenter sa force contractile de 4 à 5 fois [31]. Sa courbe de Starling se redresse et il devient  tolérant à l’augmentation de postcharge, mais son débit devient dépendant de la précharge. Il ne peut plus amortir les variations du retour veineux en maintenant le débit pulmonaire constant: l’hypovolémie conduit à une baisse du perfusion pulmonaire et à une hypoxémie. Plus il s’hypertrophie, plus le VD ressemble au VG.
 
Mais les limites de ce processus sont vite atteintes, car le VD ne peut surmonter longtemps un excès de résistance à l’éjection et il commence à se dilater pour utiliser au maximum l'effet Starling, ce qui augmente encore son stress de paroi et sa consommation d’O2, alors que sa perfusion coronarienne est davantage compromise [4]. La dilatation l’amène en butée contre le péricarde. Comme l’espace intrapéricardique est limité, l’augmentation de volume du VD fait basculer le septum interventriculaire dans la cavité gauche en diastole et limite le remplissage diastolique de celle-ci (voir Figure 5.114) [18]. Ainsi une surcharge de volume aggrave non seulement l’insuffisance congestive droite mais encore limite le remplissage et le volume d’éjection du VG. L’interaction diastolique par le déplacement du septum est au moins aussi importante que la chute de l'éjection du VD dans la genèse du bas débit systémique [5]. 
 
Une surcharge de volume (insuffisance tricuspidienne, shunt G-D comme une CIA) entraine une hypertrophie excentrique avec une dilatation, qui est bien tolérée tant que la pression pulmonaire reste basse. La dilatation de l'anneau conduit secondairement à une insuffisance tricuspidienne qui augmente encore la surcharge de volume. Toutefois, l'élévation du stress de paroi avec l'agrandissement de la cavité amène à la défaillance du ventricule à long terme. D'autre part, la grande taille du VD est directement liée à une incidence accrue d'arythmies ventriculaires et de morts subites [10,33].
 
Maladies myocardiques
 
Dans une cardiomyopathie, la tension de paroi systolique développée pour un volume de remplissage donné est insuffisante. La cause est liée à une pathologie du muscle cardiaque lui-même. En Occident, la cardiomyopathie est le plus souvent secondaire à une maladie coronarienne: 46 % des cas chez les hommes et 27% chez les femmes. La deuxième cause est la dégénérescence liée à l'âge. Lorsqu’elle s’accompagne d’une dilatation massive, la cardiomyopathie est idiopathique dans la majorité des cas. Certaines cardiomyopathies sont secondaires à des maladies systémiques, infectieuses (virus, maladie de Chagas) ou métaboliques (diabète, alcoolisme). 
         
Restriction
 
La restriction au remplissage est la cause d'une insuffisance diastolique sévère. On la rencontre dans la cardiomyopathie restrictive, forme la plus grave de la dysfonction diastolique, généralement due à un processus infiltratif qui rigidifie le ventricule (œdème, sarcoïdose, amyloïdose, infiltration tumorale) ; la fonction systolique est normale mais l'insuffisance diastolique cause des oedèmes pulmonaires à répétition. La restriction peut être secondaire à un épanchement péricardique ou à une péricardite constrictive qui limitent mécaniquement l'expansion des ventricules en diastole (voir Chapitre 16, Péricardite constrictive). 


 
Remodelage ventriculaire
Le cœur représente 0.6% de la masse corporelle. Chez l'adulte, le rapport myocytes/fibrocytes est de 60/40; ce rapport s'inverse à partir de 70 ans. La fonction est maintenue par hypertophie des myocytes fonctionnels. Le cœur a une très grande plasticité: il perd ou augmente sa masse selon son activité. L'hypertrophie peut être physiologique et réversible (grossesse, sport d'endurance), ou pathologique et conduire à long terme à une défaillance ventriculaire (hypertension artérielle, valvulopathie). 
 
Une surcharge de pression déclenche une hypertrophie concentrique (réplication en parallèle des sarcomères), et une surcharge de volume une hypertophie excentrique (réplication en série des sarcomères). L'hypertophie permet de stabiliser le stress de paroi en modifiant la taille et l'épaisseur de paroi en fonction de la pression (σ = (P • r) / 2h), mais l'HVG concentrique augmente le risque ischémique et induit une dysfonction diastolique.
 
Dans l'insuffisance et la dilatation ventriculaire, le VG, qui a une forme d'obus, prend une forme sphérique qui augmente son stress de paroi, modifie la mécanique de la contraction et provoque une insuffisance mitrale.


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2018
 
 
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