La mesure invasive de la pression artérielle est sujette à deux modulations physiologiques qui deviennent très significatives chez les gens âgés ou chez les hypertendus.
- La mise sous tension du volume systolique par le VG induit une brusque onde de pression dans la masse sanguine et l’arbre artériel, qui se propage dans les gros vaisseaux sous forme d'une onde pariétale; celle-ci précède normalement le flux sanguin pulsatile, car elle se déplace à une vélocité de 5.0 m/seconde alors que la masse sanguine avance plus lentement (0.4-1 m/s) (Figure 21.6) [1].
- Une élévation soudaine des résistances survient lorsque l'on passe des grandes artères aux artérioles; cet endroit, anatomiquement réparti dans l'organisme, induit une réflexion de l'onde de pression pariétale, comme si elle butait contre un mur. Lorsqu'elle revient en direction du coeur, cette onde de pression réfléchie croise et se superpose à l'onde de flux sanguin (déplacement du volume systolique) avec un délai par rapport à la systole qui varie selon sa vitesse de propagation et selon le lieu de mesure de la pression dans l'arbre vasculaire.
Figure 21.6 : Schéma du cheminement des ondes de flux et des ondes de pression. A: contraction ventriculaire en protosystole: l’énergie est répartie en une onde oscillatoire de pression (flèche violette), dont la propagation est fonction de la rigidité des parois vasculaires, et en une onde de flux (flèche rouge), qui propulse le volume sanguin systolique effectif. B: avancement à des vitesses différentes de la masse sanguine et de l’onde de pression qui se réfléchit en périphérie. C: superposition de l'onde de flux et du retour de l'onde de pression, qui provoque un pic de pression. Cette onde oscillatoire de pression représente 10% de la postcharge du VG, et 25-30% de la postcharge du VD [1,4].
Ces phénomènes font que la pression artérielle n'est pas identique dans toutes les artères, mais augmente d'amplitude au fur et à mesure que l'on s'éloigne du coeur: la distensibilité diminue, les résistances augmentent, et le délai de la rencontre entre l'onde de pression réfléchie et la pression générée par l'avancement du volume systolique se raccourcit (Figure 21.15).
Figure 21.15 : Evolution de la pression (en mm Hg) et du flux (vélocité en cm/s) tout au long de l'arbre vasculaire [Extrait de: Yin FCP. Ventricular/vascular coupling. Clinical, physiological and engineering aspects. New-York:Springer Verlag, 1987, Figure 1.1. Réf 4].
Le flux sanguin, exprimé par sa vélocité en m/s, se modifie également. Dans l'aorte ascendante, il n'est que systolique, la colonne de sang étant immobile ou légèrement rétrograde en diastole, alors qu’il devient progressivement systolo-diastolique et de plus en plus "dépulsé" en périphérie (Figure 21.15). Tout se passe comme si la fonction des grandes artères était d’amortir la pulsatilité imposée par la systole ventriculaire et de délivrer en périphérie un flux continu à une pression moyenne voisine de celle de l'aorte ascendante [4].
Dans l'aorte ascendante, la pression est en général de basse amplitude grâce à l'élasticité des parois; l'onde de pression réfléchie en périphérie y revient après la fermeture de la valve aortique et amplifie la pression protodiastolique. Avec l'âge, cette élasticité des vaisseaux diminue, et l'onde de pression se propage plus vite. La forme de la courbe aortique se modifie: le retour de l'onde réfléchie survient plus tôt et vient amplifier la pression en télésystole (Figure 21.7). L'hypertendu présente une courbe analogue, mais à des valeurs particulièrement élevées.
Figure 21.7 : Comparaison d’une artère normale et d’une artère rigidifiée par une athéromatose diffuse (artère fémorale). L’effet du retour de l’onde de pression (onde réfléchie, marquée par la flèche violette) survient plus tôt dans le deuxième cas et donne un crochetage sur le pic systolique. Bien qu’enregistré comme la pression systolique par le moniteur, cet effet ne correspond pas à une pression de perfusion réelle mais à un simple pic de pression intra-artériel.
On peut ainsi décrire deux types de contours de pression artérielle dans l'aorte ascendante (Figure 21.16) [3]:
Figure 21.16 : Courbes de flux et de pression artérielle enregistrées dans l'aorte ascendante chez deux patients de type C (jeune adulte) et de type A (personne âgée) [Extrait de: Yin FCP. Ventricular/vascular coupling. Clinical, physiological and engineering aspects. New-York:Springer Verlag, 1987, Figure 4.13. Réf 3].
- Le type A: le retour précoce de l'onde réfléchie détermine le pic systolique qui survient en télésystole et représente 10-15% de la valeur totale de la pression systolique; c'est la configuration de la personne âgée et de l'hypertendu; il augmente la postcharge du VG; il apparaît de façon marquée et précoce lors de clampage aortique.
- Le type C: chez l'individu jeune, le retour de l'onde réfléchie est plus tardif et moins marqué; il survient en protodiastole ; le pic systolique, plus bas, n'est pas influencé par le retour de l'onde de pression; c'est la pression protodiastolique qui est amplifiée. Une vasodilatation artérielle pharmacologique induit ce même type de courbe.
Il est rare que l'on mesure la pression dans l'aorte ascendante ! Or, plus le cathéter de mesure est périphérique, plus il enregistre une pression élevée et plus le pic de pression réfléchie s'imbrique dans la pression du flux systolique pulsatile (Figure 21.17) [2].
Figure 21.17 : Variations de la forme analogique de la courbe de pression artérielle selon la localisation de l’analyse. A : Image de la courbe de pression normale depuis la racine de l’aorte ascendante jusqu’à l’artère fémorale [2]. B : Image schématique d’une courbe artérielle dans l’aorte ascendante (ponction peropératoire directe) et dans l’artère radiale (cathéter). La pression systolique enregistrée dans la radiale est plus élevée, mais la diastolique est plus basse ; la pression différentielle (Psyst – Pdiast) est agrandie.
D'un point de vue pratique, l'artère radiale est plus distale que l'artère fémorale; on y lit une pression systolique normalement plus haute que la pression centrale aortique, alors que la pression fémorale est plus basse parce que plus voisine de la pression aortique. Après la CEC, ce phénomène s'inverse: la pression radiale est plus basse que la pression fémorale à cause de la vasoconstriction catécholaminergique et hypothermique intense. L'ordre de grandeur de cette différence est de 20-50 mmHg [6]. En effet, l’extrémité du cathéter fémoral est dans l’artère iliaque externe, qui est une artère élastique non sujette à la vasoconstriction, contrairement à l’artère radiale qui est une artère musculaire. Le cathéter fémoral transmet la pression de perfusion réelle du cerveau et des coronaires, ce que n'assure pas le cathéter radial (Figure 21.18).
Figure 21.18 : Après une CEC hypothermique, l'intense vasoconstriction périphérique peut induire une différence de valeur considérable dans la pression lue dans une artère fémorale, équivalente à celle l'aorte ascendante, ou dans une artère radiale, beaucoup plus basse à cause de la vasoconstriction artérielle (chiffres en mmHg).
Les organes complexes bénéficient d’un système d’autorégulation qui maintient le flux sanguin constant sur une vaste plage de valeurs de pression artérielle. En deçà et au-delà de ces valeurs, le flux devient pression-dépendant. Pour le cerveau, la zone d’autorégulation s’étend normalement de 60 à 130 mmHg de pression moyenne (PAM) [5]. Dans les reins, l’autorégulation maintient le flux plasmatique rénal (FPR) sur une plage de PAM allant de 80 à 180 mmHg. Une PAM de 60-70 mmHg est donc en dessous de la zone d’autorégulation, et le FPR y devient dépendant de la pression; la régulation s’étend plus loin vers les hautes que vers les basses pressions. Une PAM de 80 mmHg est le minimum vital pour le rein adulte. Chez le malade hypertendu, ces plages d’autorégulation sont déplacées vers le haut, ce qui sous-entend que le flux devient pression-dépendant déjà à des valeurs de PAM normales pour un individu sain.
Mesure de la pression artérielle |
Les parois des grandes artères sont élastiques et amortissent les variations de pression systolo-diastoliques. Les artères périphériques sont musculaires et représentent la composante majeure des RAS. Dans l’aorte, la pression différentielle (PAsyst – PAdiast) est plus basse qu’en périphérie ; la PAsyst est inférieure et la PAdiast supérieure à celles de l’artère radiale. La pression la plus proche de celle de l’aorte (pression de perfusion cérébrale et coronarienne) est transmise par un cathéter fémoral.
La vasoconstriction artérielle (hypothermie, noradrénaline) affecte la lecture de la PA dans les artères musculaires (artère radiale) mais non dans les artères élastiques (artère fémorale).
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© CHASSOT PG, Septembre 2007, dernière mise à jour, Décembre 2018
Références
- LEVICK JR. An introduction to cardiovascular physiology. 2nd. ed. Oxford, Butterworth-Heinemann, 1995, p 117
- MURGO JP, WESTERHOF N. Arterial reflections and pressure waveforms in humans. In: YIN FCP, ed. Ventricular / vascular coupling. New York, Springer Verlag, 1987, pp140-158
- NICHOLS WW, O'ROURKE MF, AVOLIO A, et al. Age-related chamges in left ventricular / arterial coupling. In: YIN FCP, ed. Ventricular / vascular coupling. New York, Springer Verlag, 1987, 79-114
- O'ROURKE MF, AVOLIO AP., NICHOLS WW. Left ventricular / systemic arterial coupling in humans and strategies to improve coupling in disease states. In: YIN FCP, ed. Ventricular / vascular coupling. New York, Springer Verlag, 1987, 1-19
- POWERS WJ. Hemodynamics in ischemic cerebrovascular disease. Ann Neurol 1991; 29:231-40
- RICH GF, LUBANSKI RE, McLAUGHLIN TM. Differences between aortic and radial artery pressure associated with cardiopulmonary bypass. Anesthesiology 1992, 77:63-66