Diagnostic et probabilité d'une embolie pulmonaire
Avant d'être établi par un angio-CT, le diagnostic d'appel est basé sur le taux circulant de D-dimères et sur un score clinique qui évalue la probabilité de souffrir ou non d'embolie pulmonaire (EP). Parmi les 9 scores décrits, celui de Wells (Tableau 17.15) et celui de Genève (Tableau 17.16) sont les plus communément admis [11,17]. Lorsque le score est bas (≤ 1 point), la probabilité d'EP est ≤ 6%; lorsqu'il est élevé, elle est ≥ 76% [1]. Si la probabilité est haute, on procède à un angio-CT thoracique qui établit le diagnostic et dont la sensibilité pour la détection des embols est de 97% [16]; un examen normal exclut l'EP [10]. Si la probabilité est faible, le dosage des D-dimères suffit. La valeur prédictive négative de ces derniers est haute et permet d’exclure une embolie s’ils sont < 500 ng/ml, mais leur spécificité baisse avec l’âge et en présence d’un néoplasme. Lorsqu'ils sont négatifs, l'anticoagulation n'est pas requise [10]. Un ultrason des membres inférieurs peut étayer le diagnostic en démontrant la TVP. L'ECG (aspect S1-Q3-T3), la gazométrie (élévation du gradient alvéolo-artériel) et la radiographie du thorax (pauvreté vasculaire focale) sont peu sensibles et peu spécifiques. Un taux de BNP/NT-proBNP > 100 pg/mL est bien corrélé avec la dysfonction du VD; sa valeur prédicitive négative est de 100% lorsqu'il est normal [10]. La scintigraphie ventilé/perfusé est très spécifique, mais elle impose un délai généralement excessif ; elle est une alternative à l’angio-CT pour les malades en insuffisance rénale ou allergiques au produit de contraste. L’IRM est un examen inutile car sa sensibilité est insuffisante. L'angiographie pulmonaire n’est indiquée que dans les cas qui subissent une thrombolyse par cathétérisme [4].
L'échocardiographie transthoracique (ETT) ou transoesophagienne (ETO) met en évidence la dilatation ventriculaire droite (rapport dimensionnel VD/VG > 0.9), la défaillance du VD, l'insuffisance tricuspidienne, le mouvement paradoxal et le bombement des septum interauriculaire et interventriculaire, et la relative hypovolémie du coeur gauche (Vidéo et Figure 17.28) (voir Chapitre 25 Dysfonction ventriculaire droite) [4]. L’ETO permet parfois de visualiser le thrombus s'il est localisé dans l'OD, dans le tronc de l'artère pulmonaire ou dans la racine de l'artère pulmonaire droite (Figure 17.29). Un éventuel foramen ovale perméable peut se rouvrir à la faveur de la surpression auriculaire droite et accentuer la cyanose par un shunt D - G aggravant le pronostic (Vidéo) [9]. L'élévation soudaine de la postcharge du VD (PAPsyst > 60 mmHg, PAPmoy > 35 mmHg) provoque sa défaillance. Les médiateurs humoraux libérés provoquent une vasoconstriction pulmonaire, une perte de surfactant et une bronchoconstriction qui amplifient encore le tableau. Le degré de défaillance droite et l’élévation du BNP/NT-proBNP et de la troponine sont des prédicteurs indépendants de mortalité [15]. L'écho permet également le diagnostic différentiel des autres causes d'instabilité hémodynamique si la fonction droite est normale [10].
Vidéo: Défaillance et dilatation du VD avec dilatation massive de l'OD dans le cadre d'embolie pulmonaire; les cavités gauches sont comprimées par le basculement du septum interventriculaire et du septum interauriculaire.
Vidéo: Thrombus en transit dans l'OD lors d'embolie pulmonaire massive; un gros embol flotte dans l'OD devant la valve tricuspide.
Vidéo: Thrombus en transit dans l'OD lors d'embolie pulmonaire massive; un thrombus est enclavé dans le foramen ovale, perméable chez ce patient; la surcharge de pression droite a renversé le flux du FOP en un shunt droit - gauche qui le pousse dangereusement dans l'OG.
Figure 17.28 : Images échocardiographiques transoesophagiennes de dilatation des cavités droites lors d’embolie pulmonaire. Le septum interauriculaire et le septum interventriculaire sont bombés dans l'OG et le VG et en limitent l'expansion diastolique; les cavités gauches sont comprimées. A: embolie pulmonaire aiguë; les parois du VD dilaté sont d'épaisseur normale. B: embolies pulmonaires récidivantes; l'OD est très dilatée par la stase chronique, les parois du VD sont épaissies pour lutter contre l'hypertension pulmonaire chronique.
Figure 17.29 : Embolie pulmonaire. A: Embols en transit dans l'oreillette droite (flèche verte), avec un embol à cheval sur le foramen ovale perméable (double flèche jaune). Cette image est une indication peremptoire à l'embolectomie chirurgicale en CEC. B: thrombus dans l’artère pulmonaire droite (APD). Ao: aorte ascendante. TH : thrombus. VCS : veine cave supérieure.
Thérapeutique de l'embolie pulmonaire
La thérapeutique comprend plusieurs modalités en fonction de la gravité de la situation [4,5,6,8,10].
La thérapeutique comprend plusieurs modalités en fonction de la gravité de la situation [4,5,6,8,10].
- Anticoagulation: elle est débutée en urgence dès la suspicion du diagnostic, quelle que soit la gravité de l'embolie. L’anticoagulation seule est le traitement de choix des cas à risque faible (embolie mineure et intermédiaire à bas risque). Elle débute en général par une héparine et vise un aPTT > 2 - 2.5 fois la norme.
- Héparine non-fractionnée intraveineuse : bolus initial de 5'000 à 10'000 UI, suivi d'une perfusion de 18 UI/kg/heure; préférence en cas d’insuffisance rénale et d'embolie majeure ou massive.
- Héparine de bas poids moléculaire sous-cutanée : 10'000 – 20'000 UI/jour; réservée au cas à risque faible.
- Enoxaparine: 1 mg/kg 2x/j; daltéparine: 100-200 UI/kg 2x/j; nadroparine: 86-171 UI/kg 2x/j.
- Anticoagulation: au-delà de 5-10 jours, elle se poursuit par un anticoagulant oral.
- Agent anti-vitamine K (AVK): viser un INR de 2.0-3.0.
- Nouvel anticoagulant oral (NACO): dabigatran, rivaroxaban, apixaban, edoxaban; ils sont au moins aussi efficaces que les AVK avec un meilleur profil de sécurité et une plus grande facilité d'usage.
- Anticoagulation: dans les cas à risque faible, elle peut débuter directement par un nouvel anticoagulant.
- Fondaparinux : 5-10 mg/jour scut selon poids.
- Rivaroxaban: 15 mg 2x/j po pendant 3 semaines, puis 20 mg/j; possibilité de traitement à très long terme avec 10 mg/j.
- Apixaban: 10 mg 2x/j po pendant 7 jours, puis 5.0 mg 2x/j.
- Le rivaroxaban et l'apixaban peuvent être démarrés à fort dosage dès l'événement aigu alors que le dabigatran et l'edoxaban doivent être précédés d'un traitement de 5-10 jours par une héparine.
- L’anticoagulation est continuée par un anti-vitamine K ou un NACO pendant au minimum 3 mois; la préférence est pour 6 mois. En cas de récidive ou de situation à haut risque, le traitement est continué à long terme avec un dosage faible qui n'augmente pas le risque hémorragique (par exemple rivaroxaban 10 mg/j ou apixaban 2.5 mg 2x/j).
- Risque hémorragique global : 3%.
- Thrombolyse intraveineuse: réservée aux cas avec décompensation hémodynamique et aux embolies massives chez qui elle diminue la mortalité de plus de la moitié (OR 0.29-0.44) à la condition que le risque hémorragique soit faible [4,8,12].
- Alteplase (CathFlo Activase®) 50 mg iv pendant 2 heures.
- Activateur du plasminogène recombinant (rtPA Actilyse®, Rapilysin®; perfusion 200 mg en 2 heures).
- Risque hémorragique grave: 20%; risque d'ictus hémorragique: 3-5% (OR 2.91 et 3.18 respectivement par rapport à l'héparine). Ce risque fait que le rapport coût/bénéfice de la fibrinolyse n'est favorable que dans les cas à haut risque et les embolies massives.
- Contre-indications : lésion intra-crânienne, hypertension non-contrôlée, traumatisme ou chirurgie dans les 3 semaines précédentes.
- Thrombolyse locale par cathétérisme: alors que la thrombolyse systémique présente un risque excessif de saignement dans le contexte chirurgical ou en cas d'AVC, l'administration de l'agent directement au contact des thrombi en cathétérisant l'artère pulmonaire sous contrôle radiologique permet d'avoir une concentration locale plus élevée avec un débit moindre (rtPA 1 mg/h pendant 24-48 heures au lieu de 100 mg/h). La thrombolyse in situ améliore rapidement le flux pulmonaire, la PAP (- 30%) et la fonction droite sans risque hémorragique grave [14]. Mais cette technique coûteuse demande de l'expérience.
- Embolectomie par cathétérisme: plusieurs dispositifs permettent de combiner la thrombolyse locale avec l'extraction/aspiration des caillots présents dans les grandes branches de l'artère pulmonaire au moyen de cathéters spéciaux; le taux de complications voisine 10% [4].
- Filtre mécanique: "parapluie" inséré dans la veine cave inférieure par voie percutanée jugulaire ou fémorale. Il évite les récidives mais ne traite pas l'embol constitué; il diminue le taux de réembolisation, sans toutefois modifier la survie à long terme [3]. Les modèles récents peuvent être extraits secondairement (retrievable filter). Ils sont indiqués chez les patients souffrant de TVP aux membres inférieurs ou dans le petit bassin qui présentent des contre-indications à l’anticoagulation, mais il n'y a aucune indication à placer de routine un filtre dans la VCI en complément de l'anticoagulation lorsqu'elle est possible [5]. Les filtres de VCI ne semblent pas améliorer le pronostic à 6 mois par rapport à l'anticoagulation seule [13].
- Embolectomie pulmonaire chirurgicale en CEC : indiquée dans l'embolie massive chez les patients en choc cardiogène sur défaillance droite présentant une contre-indication à la thrombolyse, en cas d’échec de celle-ci, et en cas d’embols en transit visibles à l’angio-CT ou à l'ETO. La mortalité moyenne est de 6-12% [7].
En peropératoire, la survenue d'une embolie pulmonaire est suspectée sur l'hypoxémie, l'hypocarbie (baisse soudaine de la PetCO2), l'hypotension et la tachycardie. Elle réclame une thérapie immédiate: échocardiographie transoeosphagienne pour objectiver l'état fonctionnel du VD et éventuellement repérer des thrombus en transit, anticoagulation avec de l'héparine non-fractionnée, soutien inotrope (dobutamine, milrinone-adrénaline). La fibrinolyse intraveineuse n'est pas concevable à cause du risque hémorragique, mais elle peut être remplacée dans le postopératoire par une thrombolyse locale sous cathétérisme [2]. Dans les cas dont l'hémodynamique et les échanges gazeux sont très compromis, une assistance circulatoire par ECMO (extracorporeal membrane oxygenation) peut stabiliser la situation et permettre une embolectomie chirurgicale ou par cathétérisme. Il s'y ajoute évidemment le soutien hémodynamique d'urgence, que l'anesthésiste doit moduler selon la situation du patient et combiner à l'anesthésie (voir Chapitre 12 Traitement de l'HTP).
- Hyperventilation à pression moyenne intrathoracique basse (PaCO2 30 mmHg, Pit < 12 cm H2O );
- Alcalose respiratoire et/ou métabolique: pH ≥ 7.5;
- Agents inotropes n'élevant pas les RAP: dobutamine, milrinone (Corotrop®), adrénaline;
- Vasodilatation pulmonaire par inhalation: NO, prostaglandines, milrinone;
- Maintien de la pression de perfusion coronarienne systolo-diastolique du VD: perfusion de noradrénaline;
- Optimalisation de la précharge du VD:
- PVC à 10 mmHg si dimensions normales du VD (effet Starling);
- Baisser la PVC (nitroglycérine, position de contre-Trendelenburg) si dilatation du VD, insuffisance tricuspidienne et stase droite;
- Induction étomidate + fentanyl/sufentanil, maintien avec fentanyl/sufentanil + sevoflurane/midazolam;
- Sont à éviter: dopamine, digitale, desflurane, N2O; le propofol est déconseillé (baisse de précharge, vasodilatation systémique).
Diagnostic et traitement |
Le diagnostic d'embolie pulmonaire est basé sur la probabilité du contexte clinique (score de Genève), sur l'élévation des D-dimères et sur l'angio-CT. La gravité est déterminée par la baisse de la SaO2, par la dysfonction du VD (échocardiographie, BNP/NT-proBNP) et par l'état de choc cardiogène (embolie massive).
Le traitement comprend plusieurs modalités selon la gravité de l'embolie:
- Anticoagulation par héparine
- Embolie mineure: HBPM scut, fondaparinux scut, rivaroxaban po, apixaban po
- Embolie intermédiaire à bas risque: anticoagulation par héparine
- Embolie intermédiaire à haut risque: anticoagulation + thrombolyse iv, soutien inotrope
- Embolie massive: anticoagulation + thrombolyse iv, soutien inotrope, assistance circulatoire (ECMO), embolectomie chirurgicale
- Thrombolyse locale par cathétérisme si risque de saignement excessif pour la thrombolyse intraveineuse
- A long terme: NACO ou agent antivitamine K pour un minimum de 3 mois
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© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, Dernière mise à jour, Avril 2018
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