Le lien étroit qui existe entre la coagulation et la réaction inflammatoire (voir Inflammation et complément) laisse à penser qu’une atténuation de cette dernière pourrait améliorer le risque hémorragique ou thrombotique. Comme l’intensité du SIRS (Systemic Inflammatory Response Syndrome) dépend d’une cascade d’éléments différents, il n’est pas étonnant que de multiples abords soient potentiellement utiles pour la freiner [4].
Stéroïdes
Les corticostéroïdes maintiennent l’intégrité des membranes cellulaires, particulièrement dans le cœur et les poumons, freinent l’adhésion leucocytaire et réduisent la production de complément et de cytokines [5,15]. En dépit d’une nette atténuation de la réaction inflammatoire et d’une claire diminution des marqueurs inflammatoires après CEC, ils ne préviennent les dysfonctions multiorganiques que chez les malades en hypocorticisme, et leur impact clinique demeure incertain. Diverses revues et méta-analyses ont synthétisé les résultats acquis jusqu’ici avec les stéroïdes [1,2,8,16].
- La réduction de l’incidence de FA est significative.
- Le temps de séjour aux soins intensifs et le temps de séjour hospitalier sont diminués.
- La stabilité hémodynamique peropératoire est améliorée, l’utilisation de vasopresseur est réduite.
- La réduction du taux d’hémorragie est marginale.
- La durée de ventilation mécanique est un peu raccourcie; certaines études ont montré une atténuation des complications respiratoires, mais d’autres publications montrent une aggravation des échanges gazeux postopératoires et un retard à l'extubation.
- Le réveil est amélioré : le taux de nausée, vomissement et frisson est diminué.
- Le taux d’infection de plaie est identique, et le taux d’infections générales peu modifié.
- Le taux d’épisodes hyperglycémiques est augmenté 1.5 fois dans une méta-analyse et celui d’hémorragies digestives est doublé dans une autre.
- La mortalité n’est pas modifiée.
Bien que les protocoles des différentes études soient très variables, on peut en conclure que l’administration prophylactique de stéroïdes pourrait diminuer la morbidité postopératoire, pour autant qu’elle ne soit pas elle-même la cause d’un accroissement des infections et des hémorragies [1]. Les dosages traditionnels étant assez élevés (méthylprednisolone 30 mg/kg, dexaméthasone 1 mg/kg), il est possible que des doses plus faibles aient un meilleur rapport bénétice/complication tout en conservant une activité satisfaisante sur la réduction de la réponse inflammatoire [8].
La question de savoir si une prophylaxie de routine avec des stéroïdes est recommandable a reçu une réponse plutôt négative de deux essais contrôlés et randomisés. Le premier est une étude hollandaise (DECS, DExamethasone for Cardiac Surgery) de 4'494 patients randomisés entre dexaméthasone 1 mg/kg et placebo, administrés à l’induction de l’anesthésie [3]. La mortalité et les complications majeures (infarctus, ictus, insuffisance rénale) sont moindres dans le groupe stéroïde, mais de manière marginale (OR 0.83), alors que d’autres morbidités sont significativement diminuées : infections (OR 0.64), délire (OR 0.79), insuffisance respiratoire (OR 0.69). Les patients à risque élevé (EuroSCORE > 5) tirent le maximum de bénéfice (OR 0.77). Bien que ces résultats ne soient pas renversants, cet essai a clairement démontré l’inocuité du traitement, qui n’a déclenché aucune aggravation du risque hémorragique ni infectieux. Le second essai est une étude multicentrique (SIRS, Steroids In caRdiac Surgery) de 7'507 patients assignés à recevoir 500 mg de méthylprednisolone ou un placebo [17]. La mortalité n'est pas réduite de manière significative (OR 0.87), le taux de complications majeures est inchangé (OR 1.03) et le taux d'infection n'est pas modifié, de même que l'incidence de delirium. Ces deux études, méthodologiquement incontestables, n'incitent donc pas à l'utilisatoion de stéroïdes comme routine pour diminuer la réaction inflammatoire liée à la CEC.
Autres substances pharmacologiques
Au fil des essais cliniques, toute une série de substances a été invoquée comme atténuateur possible de la réaction inflammatoire, sans qu’aucune d’entre elles ne se détache par un effet évident [4].
- L’aprotinine diminue l'intensité de la réaction inflammatoire systémique et la production de C1, de TNF et de kallikréine [6]. L’acide aminocaproïque et l’acide tranexamique ont moins d’effet.
- Les statines ont un effet anti-inflammatoire et diminuent la mortalité après pontages aorto-coronariens [13].
- Le bleu de méthylène est un anti-NO et de ce fait possède un effet anti-inflammatoire, mais son usage est réservé aux situations d’hypotension réfractaire [7].
- L’insuline ; l’hyperglycémie est accompagnée d’une hypersécrétion de cytokines, et les diabétiques sont connus pour une production excessive de superoxide par leurs mitochondries [7]. De ce fait, le maintien d’une normoglycémie atténue la réaction inflammatoire, mais cette dernière induit une résistance à l’insuline qui peut expliquer les difficultés rencontrées dans la gestion de la glycémie peropératoire [11].
- La N-acétyl-cystéine (Salmucol®) ou l’allopurinol (Xyloric®) diminuent les marqueurs inflammatoires et bloquent l’effet toxique des radicaux libres, mais leur utilisation clinique s’avère décevante et n’apporte pas de bénéfice en terme de mortalité ni de morbidité [10].
- Les inhibiteurs du complément : le pexelizumab et le TP10, qui inhibent la chaîne du complément au niveau de C5a, atténuent la morbi-mortalité après chirurgie cardiaque dans des groupes sélectionnés de patients, sans pour l’instant faire preuve d’effets cliniques significatifs [12].
Aspects anesthésiques
L’anesthésiste peut influencer la réaction inflammatoire de plusieurs manières [4].
- Ventilation : la baisse du volume courant à 4-8 mL/kg au lieu de 10-12 mL/kg et la diminution de la FiO2 à 0.6 limitent les lésions mécaniques et cellulaires, et abaissent les taux de cytokines libérées par les poumons.
- Stabilité hémodynamique : l’hypoperfusion tissulaire (hypotension et bas débit) active la libération de cytokines et d’endotoxines, en particulier dans le tube digestif.
- Préconditionnement : les halogénés ont la propriété de diminuer l’impact des lésions ischémiques sur la cellule myocardique, au moins momentanément (voir Chapitre 5 Préconditionnement) [9]. Le préconditionnement à distance par courtes périodes d’ischémie musculaire d’un membre a un effet protecteur sur le myocarde et sur la survie clinique [14].
Thérapie anti-inflammatoire |
Stéroïdes (méthylprédnisolone 500 mg ou dexaméthasone 1 mg/kg à l’induction): ils atténuent la réaction inflammatoire systémique et les marqueurs associés. Ils diminuent l’incidence de FA, nausée – vomissement, instabilité hémodynamique, insuffisance respiratoire, infections, séjour en soins intensifs. Ils ne modifient pas la mortalité. Par contre, ils n’augmentent ni le risque infectieux ni le risque hémorragique.
Toute une série de substances a été investiguée à cause de leur potentiel anti-inflammatoire. Cependant, même si elles tendent à abaisser les marqueurs inflammatoires, aucune n’a démontré d’impact significatif sur la morbi-mortalité globale après chirurgie cardiaque.
En anesthésie, la ventilation protectrice à bas volume courant et le maintien d’une pression artérielle et d’un débit satisfaisants, y compris pendant la CEC, favorisent les résultats cliniques postopératoires, en partie par le biais d’une réduction du SIRS. L’utilisation d’halogénés (préconditionnement) diminue les lésions myocardiques lors de revascularisation coronarienne.
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© CHASSOT PG, MARCUCCI C, Décembre 2013, dernière mise à jour, Novembre 2018
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