Ventilation et CEC
Bien que la ventilation ne soit pas nécessaire aux échanges gazeux pendant la CEC, les poumons laissés à eux-mêmes collabent et s'atélectasient; le drainage lymphatique s'effondre. Lorsque l'aorte est clampée, le débit dans l'artère pulmonaire s'arrête et le flux des artères bronchiques diminue de 50% [13]. Le mode ventilatoire au cours de la CEC est un sujet de débat irrésolu. Aucune étude n'a jusqu'ici clairement démontré la supériorité d'une technique sur une autre.
Une routine est de laisser un bas débit continu d'O2 et d’air (1 L/min, FiO2 0.3-0.5) sans PEEP. La CPAP (continuous positive airway pressure) à 5-10 cm H2O, la ventilation mécanique à bas volume courant (3-4 mL/kg) et basse fréquence (6 cycles/min), ou les manœuvres de capacité vitale en cours de CEC, améliorent certes les paramètres de l'oxygénation au moment de la sortie de pompe, mais cet effet ne se prolonge pas et n'a aucun impact sur le devenir des patients [3,7,8,18]. Une récente méta-analyse confirme l'amélioration momentanée du gradient alvéolo-artériel par la CPAP mais l'absence d'impact de la ventilation sur les complications pulmonaires et sur la durée de l'assistance respiratoire postopératoire [23]. Rien dans la littérature ne permet donc de recommander une quelconque forme de ventilation autre qu'un flux passif de mélange O2/air sous 3-5 cm H2O, d'autant plus que la ventilation encombre le champ opératoire et ramène du sang dans l'OG, ce qui peut gêner considérablement l'opérateur [4,11,20]. L’incidence des atélectasies postopératoires ne semble pas non plus en rapport avec le mode ventilatoire pendant la CEC (ventilation mécanique continue, CPAP en apnée, ou absence de ventilation), pour autant que les poumons soient correctement ré-expandus à la reprise de la ventilation [14,22]. En revanche, les manœuvres de capacité vitale (30-40 cm H2O pendant 20-30 secondes) sont essentielles au moment de la reprise de la ventilation avant la mise en charge. Comme l'expansion des poumons dérange le chirurgien et peut exercer une tension excessive sur un greffon mammaire, il faut bien surveiller le champ opératoire au cours de ces manoeuvres.
La ventilation mécanique est clairement bénéfique dès que le coeur éjecte du sang, avant ou après le clampage aortique. Lorsque le cœur bat en CEC (aorte déclampée), le sang qui perfuse les coronaires est pour une grande partie du sang propulsé par le VG, donc revenu des poumons par les veines pulmonaires; son contenu en O2 augmente si les poumons sont ventilés. Il en est de même lors de CEC partielle (fémoro-fémorale, par exemple). Dans ces conditions, il est recommandé d'assurer une ventilation réduite: VC 3-4 mL/kg, fréquence 6-8 cycles/min, FiO2 0.3-0.5, pas de PEEP. Si le perfusionniste administre un halogéné dans l'oxygénateur alors que le malade est ventilé, il est important d'en ajouter la même fraction inspirée sur le respirateur, sans quoi l'halogéné est éliminé par les poumons simultanément à son administration dans la CEC.
Par leur action de préconditionnement, les halogénés se sont avérés intéressants pour diminuer l'impact des lésions d'ischémie et de reperfusion, particulièrement en cas de coronaropathie; par rapport à une anesthésie intraveineuse, ils diminuent les marqueurs de lésion myocardique, améliorent la reprise fonctionnelle immédiate et abaissent marginalement la mortalité [5,8,12]. Mais l'incorporation d'un vaporisateur sur le circuit de CEC pose quelques problèmes [11,17].
- L'isoflurane, le sevoflurane et le desflurane sous leur forme liquide provoquent des craquelures dans le polypropylène utilisé pour la structure des oxygénateurs et des connecteurs; le vaporisateur doit donc se trouver toujours en dessous du circuit de CEC.
- L'orifice de sortie des gaz de l'oxygénateur est à l'air libre; sans un système adéquat d'évacuation, l'halogéné peut ainsi polluer la salle d'opération (quantité maximale tolérée: 2 ppm).
- La fraction inspirée des halogénés est mesurée à la sortie de l'oxygénateur, dans le système d'évacuation des gaz.
- Les membranes en polyméthylpentène (utilisées surtout dans l'ECMO) laissent mal passer les halogénés; la fraction dissoute dans le sang est donc largement inférieure à celle présumée à partir de la fraction inspirée. Le transfert du gaz n'est pas modifié par les autres type de membrane.
- Plusieurs fabricants ne mentionnent pas la possibilité d'inclure un vaporisateur dans leur circuit de CEC, ce qui laisse planer un doute sur la légalité de ce montage (non autorisé en France et en Allemagne).
Au moment de la reventilation en fin de CEC, une manoeuvre d’insufflation à capacité vitale maximale est nécessaire pour diminuer le risque d’atélectasies ultérieures [14]. La compliance pulmonaire est en général abaissée, et les pressions de ventilation supérieures à leurs valeurs initiales; les poumons font facilement de l’air-trapping. La normoventilation, voire l'hyperventilation, doivent être maintenues en dépit de ce phénomène. Comme cette surpression cède progressivement, il est important de reventiler assez tôt avant la mise en charge, afin d'avoir résolu le problème pulmonaire au moment de la reprise de la circulation normale. L'activation des kinines, des cytokines et du complément par le contact avec les surfaces étrangères du circuit de CEC est responsable de ces modifications, qui s'accompagnent aussi de vasoconstriction pulmonaire. La situation peut être aggravée par la protamine, qui est un puissant vasoconstricteur pulmonaire et un bronchoconstricteur. En cas d'encombrement trachéobronchique, l'aspiration est réalisée avec précaution car le malade est anticoagulé: échanger des sécrétions pour une hémoptysie n'est d'aucun bénéfice! Oublier de reventiler le patient avant la mise en charge est un événement possible mais catastrophique; la meilleure prévention de cet accident réside dans l’application stricte d’un protocole incluant la mise en route du respirateur dès le déclampage de l’aorte ou dès que le coeur bat spontanément. Par sécurité, il est judicieux que le (la) perfusionniste s'assure auprès de l'anesthésiste que le patient soit ventilé avant de baisser le débit de pompe.
Complications pulmonaires
Une opération de chirurgie cardiaque n'est pas une intervention bénigne pour le poumon, et presque tous les cardiopathes opérés souffrent d'une altération des échanges gazeux [9]. Avec une incidence de 5-15% des cas, les complications pulmonaires sont d'ailleurs la deuxième source de morbidité postopératoire après les complications cardiaques [10]. Il est courant de constater une péjoration des échanges gazeux dès la fin de la CEC; ceux-ci sont perturbés pour une durée de quelques heures à quelques jours. Plusieurs phénomènes entrent en jeu (voir Chapitre 23, Complications pulmonaires) [1,10,19].
- Lésions pulmonaires d'ischémie-reperfusion liées à l'exclusion pulmonaire pendant la CEC. Elles se traduisent par une libération de cytokines et de radicaux libres, une perméabilité capillaire exagérée, une augmentation des RAP et un œdème.
- Libération de médiateurs inflammatoires: à l'activation de la cascade du complément (C3a et C5a) par les surfaces étrangères s'ajoute la mise en circulation d'activateurs leucocytaires, d'interleukines, de TNF, d'histamine, de kinines (kallikréine, bradykinine) et la réaction à la protamine; ces phénomènes entraînent une vasodilatation systémique, une vasoconstriction pulmonaire (HTAP), un bronchospasme et une réaction inflammatoire systémique (SIRS). Le pic d'effet survient 2-6 heures après la CEC. Les poumons sont particulièrement sensibles au SIRS car il affecte les cellules endothéliales et active les leucocytes secondairement séquestrés dans le parenchyme pulmonaire [1].
- Pression hydrostatique capillaire pulmonaire élevée: la défaillance ventriculaire gauche passagère et la baisse de compliance cardiaque augmentent les pressions de remplissage. Cette insuffisance ventriculaire gauche postopératoire reste l'élément majeur de la dysfonction pulmonaire; elle est le déterminant principal de la morbidité et de la mortalité postopératoires.
- Oedème pulmonaire non-cardiogénique ("poumon de CEC" ou pump-lung): suite à l'augmentation de la perméabilité capillaire, au syndrome inflammatoire systémique, à l'accumulation liquidienne et à la stase capillaire, un SDRA survient dans 1-2% des CEC [15]. Lorsqu'il est associé à une insuffisance hémodynamique, ce facteur est grevé d'une mortalité de 15-40% [16].
- Le TRALI (Transfusion-Related Acute Lung Injury) est une complication majeure des transfusions puisqu'il est considéré comme leur principale cause de mortalité après l'hémolyse et la sepsis [21]. Son incidence est proportionnelle à la quantité de plasma administrée avec la transfusion.
- Accumulation liquidienne interstitielle: la CEC et les perfusions apportent un excédent de cristalloïdes qui se solde par une prise de poids de 3 à 5 kg; il est proportionnel à la durée de la CEC. Cependant, l'effet de cette accumulation est faible en l'absence de dysfonction gauche et de stase veineuse pulmonaire.
- Diminution des volumes pulmonaires: l'altération est la plus frappante pendant les premières 24 heures, mais elle reste mesurable jusqu'à 2-3 semaines [2]; les raisons majeures en sont des atélectasies, une diminution de 15-50% de la CRF, et une diminution de 50% du VEMS.
- Diminution de la compliance pulmonaire et augmentation des résistances aériennes: associés à la tachypnée, ces éléments augmentent le coût de la ventilation; jusqu'à 20% de la consommation d'O2 globale sont dévolus à cet effet.
- Lésion du nerf phrénique: le traumatisme direct ou le froid de la cardioplégie endommagent le nerf phrénique gauche et sont responsables d'une hémiparésie diaphragmatique gauche dans 15% des cas [6].
- La sternotomie, la douleur (drains) et la faiblesse musculaire postopératoire détériorent la performance respiratoire mécanique de la cage thoracique.
Ces altérations, dont la traduction clinique est faible chez les individus normaux, prennent toute leur importance chez les patients qui souffrent de pathologies pulmonaires préexistantes: BPCO, syndrome restrictif, asthme, etc (voir Chapitre 21 Pneumopathies). Elles suffisent alors à précipiter une insuffisance ventilatoire grave nécessitant une thérapie respiratoire prolongée en soins intensifs. La ventilation mécanique à volume courant réduit (6-8 mL/kg) avec PEEP (10 cm H2O) améliore la reprise fonctionnelle postopératoire par rapport à un volume courant élevé (10-12 mL/kg) [19]. En chirurgie cardiaque, la défaillance ventriculaire droite est souvent la complication majeure des patients souffrant de pathologie pulmonaire chronique.
Prévention des complications
Les complications pulmonaires étant d'origine multifactorielles, il est naturel que leur prévention repose sur une série de mesures différentes [10].
- La miniaturisation des circuits de CEC diminue le contact du sang avec les surfaces étrangères et avec l'air du reservoir, ce qui réduit l'intensité de la réaction inflammatoire. Les matériaux biocompatibles agissent dans le même sens.
- L'ultrafiltration soustrait de l'eau libre et augmente de ce fait la pression oncotique; elle abaisse le taux des cytokines inflammatoires.
- L'amorçage retrograde en début de CEC diminue la quantité de priming cristalloïde.
- La durée de CEC et de non-ventilation non-perfusion pulmonaire doit être aussi courte que possible.
- La ventilation en CEC n'est malheureusement utile que pour la prévention des atélectasies; elle est sans effet sur les échanges gazeux à long terme. Par contre, les manoeuvres de capacité vitale sont efficaces pour l'amélioration des indices ventilatoires postopératoires.
- L'effet de préconditionnement des halogénés porte également sur le poumon et favorise les échanges gazeux après la CEC.
Fonction pulmonaire |
Il n’y a pas de protection spécifique pour les poumons à part une prise en charge judicieuse de la ventilation:
- Ventilation à volume courant réduit (6-8 mL/kg) avec PEEP (5-10 cm H2O) et FiO2 0.3-0.6
- Débit d’O2/air non pulsé pendant la CEC
- Expansion pulmonaire par des manœuvres de capacité vitale au cours de la CEC et dans la
période post-CEC
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© CHASSOT PG, GRONCHI F, Avril 2008, dernière mise à jour, Décembre 2019
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