7.5.4 Réchauffement

Quelle que soit la température en hypothermie, le réchauffement doit être progressif. Le gradient de température entre l'eau du circuit de l'échangeur thermique et le sang du patient ne doit pas dépasser 10°C; la différence entre les températures oesophagienne et rectale ne doit pas excéder 10°C. La température maximale du sang ne doit pas dépasser 37°C pour éviter l'hyperthermie cérébrale [5,8]. Lorsque la température est encore < 30°C, le gradient de température entre l'entrée et la sortie de l'échangeur thermique ne doit pas excéder 10°C; dès que la température est > 30°C, ce gradient doit rester ≤ 4°C. La vitesse de réchauffement de ne doit pas dépasser 0.5°C/min (recommandé: 1°C/5 min) [3]. Un réchauffement trop rapide présente quatre risques majeurs.
 
  • Inhomogénéité de température au sein des tissus; certaines zones restent froides à cause d'une vasoconstriction artériolaire intense.
  • Hyperthermie cérébrale (38-39°C) entraînant une aggravation des troubles neurologiques.
  • Embolies gazeuses dues à la diminution de solubilité des gaz lorsque le sang se réchauffe.
  • Dénaturation des protéines sériques.
La période du réchauffement est l'occasion d'activités majeures pour l'anesthésiste [1].
 
  • Dès que commence le réchauffement, il faut prévoir un approfondissement de l'anesthésie. En effet, l'activité corticale consciente, absente < 30-32°C, reprend lorsque la température cérébrale dépasse ce seuil. Or cette température évolue plus rapidement que celle mesurée dans l’œsophage; l’inconscience doit donc être assurée dès le début du réchauffement. Si l'on ne dispose pas de moyen de mesurer l'activité électrique cérébrale (EEG, BIS™, Entropy™), on ne peut savoir si le malade est adéquatement endormi, car les critères habituels d'anesthésie sont absents en CEC: l'hémodynamique dépend de la machine, la transpiration est occasionnée par le réchauffement du sang, et les pupilles restent en miosis à cause des hautes doses d'opiacés. Il est donc recommandé d'assurer le sommeil par du midazolam (5-15 mg), du propofol (5 mg/kg/heure) ou un halogéné (1-1.5 MAC). La veinodilatation centrale causée par le propofol oblige en général le perfusionniste à ajouter 500 mL de cristalloïde dans le circuit pour compenser la chute du retour veineux. Il est rarement utile de donner du fentanyl ou un autre opiacé à ce moment, sauf si l'on veut bloquer toute réaction sympathique responsable d'une hypertension artérielle pulmonaire. 
  • L'administration d'un curare évite les frissons et diminue la consommation d'O2 musculaire, mais élimine le seul critère de réveil que sont les mouvements spontanés. 
  • Les malades en insuffisance congestive avec dilatation ventriculaire ou hypertension artérielle pulmonaire, chez lesquels l’inodilatation est profitable, bénéficient d’une dose de milrinone (Corotrop®) en bolus lent (50 mcg/kg) dans la CEC au moment du réchauffement [2]; une baisse de la pression systémique est habituelle pendant cette administration.
  • Au déclampage de l'aorte, la perfusion coronarienne est rétablie et le coeur fibrille ou recommence à battre spontanément, souvent de manière momentanément anarchique.  
  • Si le coeur fibrille, on procède à une ou plusieurs défibrillation(s) avec les palettes internes; on commence avec 5-10 J selon la taille du coeur, et on augmente si nécessaire. L’énergie maximale possible avec le système interne est 50 J. Si le succès n'est pas immédiat, il est habituel d'ajouter de la lidocaïne (2 mg/kg iv) et du magnésium (5-10 mmoles). En cas de fibrillatrion auriculaire, on procède à une cardioversion synchrone (5-20 J). Si la fibrillation ventriculaire est réfractaire à tout traitement, on peut re-cardioplégier le cœur et recommencer la sortie de pompe après un délai de récupération.
  • La ventilation est reprise lorsque l'activité cardiaque est rétablie, si cela ne gène pas l’opérateur [7]. Elle est précédée de manoeuvres de capacité vitale (insufflation 30-40 cm H2O pendant 20-30 secondes); on surveille soigneusement le champ opératoire au cours de ces manœuvres pour éviter de gêner l'activité chirurgicale ou d'exercer une traction délétère sur le(s) greffon(s) mammaire(s) [4]. Lorsqu'il bat, le cœur entretient une certaine circulation pulmonaire; il est donc judicieux de maintenir une ventilation réduite en ajustant les paramètres du ventilateur à la moitié des valeurs à cœur battant (FiO2 0.5, VC 3-4 mL/kg, fréquence 5-8 cycles/min) [6,7]. La PetCO2 lue sur le respirateur est basse, puisque les échanges gazeux ont lieu principalement dans l’oxygénateur. Néanmoins, la Fi de l’halogéné doit être identique sur les deux machines pour éviter que le gaz ne rentre par l’une et ne sorte par l’autre.
  • En cas de dysfonction ventriculaire, le gaz halogéné est momentanément interrompu; il sera repris sur le respirateur en cas de revascularisation coronarienne (effet de préconditionnement) lorsque la fonction ventriculaire sera satisfaisante.
  • L'hyperkaliémie (> 5 mmol/L) est fréquente à cause de la haute teneur en K+ des solutions de cardioplégie qui sont réaspirées dans le circuit de CEC. L'injection de Ca2+ contrecarre les effets du potassium. On peut forcer la kaliurie avec du mannitol ou du furosémide. Chez l'insuffisant rénal, la cardioplégie est évacuée par une aspiration "perdue" ou par hémofiltration. La solution de Ringer doit être remplacée par du NaCl 0.9%. En l'absence d'altérations à l'ECG, la situation est sans risque, voir même bénéfique à cause de la stabilisation des membranes.
  • Les agents inotropes ne doivent pas être administrées trop tôt avant la mise en charge parce qu'ils augmentent la mVO2 à un moment ou l'utilisation de l'O2 par la cellule myocardique est encore altérée. Une dizaine de minutes avant la mise en charge suffisent en général à obtenir un taux sérique optimal au moment de celle-ci.
La préparation finale à la mise en charge est discutée ci-après dans le chapitre Sevrage de la CEC; elle est résumée dans le Tableau 7.7.
 
 
 
 Réchauffement
Assurer le sommeil et la curarisation si nécessaire
Reventiler dès la reprise d’une activité cardiaque (si cela ne gène pas l’opérateur)
Manœuvre de capacité vitale (30-40 cm H2O pendant 20-30 secondes)
Réchauffement lent pour atteindre T° rectale ≥ 35°, T° oesophagienne ≥ 36°
    - Augmentation de température 1°C / 5 min
    - T° sang ≤ 37°C
Si FV ou TV: défibrillation(s) (palettes internes: 5-50 J), xylocaïne 2 mg/kg, Mg2+ 2 gm, en dernier ressort cardioplégie
Si FA: cardioversion (palettes internes: 5-20 J)


© CHASSOT PG, GRONCHI F, Avril 2008, dernière mise à jour, Avril 2018
 

Références
 
  1. BARRY AE, CHANEY MA, LONDON MJ. Anesthetic management during cardiopulmonary bypass: a systematic review. Anesth Analg 2015; 120:749-69
  2. DOOLAN LA, JONES EF, KALMAN J, et al. A placebo-controlled trial verifying the efficacy of milrinone in weaning high-risk patients from cardiopulmonary bypass. J Cardiothor Vasc Anesth 1997; 11:37-41
  3. ENGELMAN R, BAKER RA, LIKOSKY DS, et al. The Society of Thoracic Surgeons, the Society of Cardiovascilar Anesthesiologists, and the American Society of Extracorporeal Technology: clinical practice guidelines for cardiopulmonary bypass – Temperature management during cardioplmonary bypass. J Cardiothorac Vasc Anesth 2015; 29:1104-13
  4. GARCIA-DELGADO M, NAVARETTE-SÀNCHEZ I, COLMENERO M. Preventing and managing perioperative pulmonary complications following cardiac surgery. Curr Opin Anesthesiol 2014; 27:146-52
  5. GRIGORE AM, MURRAY CF, RAMAKRISHNA H, DJAIANI G. A core review of temperature regimens and neuroprotection during cardiopulmonary bypass: does rewarmning rate matter ? Anesth Analg 2009; 109:1741-51
  6. MAGNUSSON L, ZEMGULIS V, RENLING A, et al. Use of a vital capacity maneuver to prevent atelectasis after cardiopulmonary bypass. Anesthesiology 1998; 88:134-42
  7. MURPHY GS, HESSEL EA, GROOM RC. Optimal perfusion during cardiopulmonary bypass: an evidence-based approach. Anesth Analg 2009; 108:1394-417
  8. SHANN KG, LIKOSKY DS, MURKIN JM, et al. An evidence-based review of the practice of cardiopulmonary bypass in adults: A focus on neurologic injury, glycemic control, hemodilution, and the inflammatory response. J Thorac Cardiovasc Surg 2006; 132:283-90